Bon, nous voilà entre nous, je veux dire entre ceux qui ont à priori fini Brothers et qui peuvent le spoiler sans soucis. Je voulais donc parler de la noirceur du jeu. Une noirceur que je distingue de l’émotion triste et mélancolique qui imbibe le jeu. On ne peut pas qualifier le jeu de jeu noir comme on pourrait le dire d’un film noir ou d’un roman noir ; les codes sont plutôt ceux de la fable ou du conte fantastique. Mais cela n’empêche pas le jeu d’être traversé par une noirceur déroutante qui finit par être troublante. Il y a bien sûr la fin du jeu, mais la fin on la voit venir. Dès que l’on a lu quelque part que le jeu était émotionnellement fort on a eu vite fait d’envisager la mort de l’un des deux frères. Et c’est le cas, le grand frère meurt.

Voilà c’est dit, je me sens mieux.

Mais sa mort, la scène de sa mort n’est pas particulièrement noire ou émouvante, en tout cas de mon point de vue. La scène est tellement prévisible et donc attendue par le joueur depuis un moment qu’elle perd de son impact émotionnel. Je ne suis même pas certain qu’elle ait été pensée comme le point culminant du pathos du jeu. Et ce qui me fait dire cela c’est que le jeu ne se termine pas là-dessus. Même cette scène ne se clôture pas sur la mort du grand frère. Elle se clôture par une séquence que je trouve mille fois plus troublante. Surtout que la séquence est jouable.

Je ne sais pas si je l’ai souvent dit mais je le pense depuis longtemps - depuis le test d’Alice retour au pays de la folie - ce qui est souvent le plus intéressant dans un jeu c’est le gameplay des phases non essentielles au jeu, les phases de jeu qui permettent de faire des choses qui ne font pas avancer le jeu à proprement parler - comme le fait de rentre jouables les phases de transition entre deux chapitres dans Alice -. C’est dans ces moments-là que le jeu vidéo devient le plus éloquent je trouve parce qu’il est déchargé des logiques utilitariste du gameplay. Brothers aurait pu se finir sur la mort du frère, le chapitre aurait pu se finir sur la mort du frère et dérouler une cinématique jusqu’au chapitre suivant puisque la mort du frère est le climax narratif du jeu ou de la scène selon notre échelle de perception. Mais voilà, quand le grand frère meurt on se retrouve à manier le petit frère qui doit trainer le corps de son frère jusqu’au trou creusé dans le sol. C’est une séance de gameplay juste assez longue pour que l’on ai le temps de réaliser que l’on tire le corps de son frère mort. Et ensuite on a une phase de gameplay où l’on enterre son frère en rebouchant le trou où repose son corps. Cela aurait pu être montré sans être joué, cela aurait pu être simplement évoqué, cela n’aurait rien changé à l’histoire. Le rendre jouable est vraiment intéressant, c’est une belle façon de jouer la mort.

Nous, joueurs, nous sommes bien incapables de dire combien de fois nous sommes morts dans un jeu, combien de fois nous avons laissé disparaître le corps numérique de notre avatar ou de notre victime, je veux dire que nous somme des familiers de la mort numérique. Pourtant ce passage du jeu parvient à nous faire réfléchir et éprouver quelque chose de curieux vis-à-vis de la mort. Je ne crois pas que cette émotion ressentie soit le fruit du scénario parce que je trouve les deux personnages particulièrement non charismatiques.

Si je ne suis pas entré en résonance charismatique avec ces deux frères c’est pour une raison honteuse. Bien sûr, le fait que le scénario soit laconique n’a pas aidé, le fait que le graphisme des personnages soit inférieur à celui du décor aussi, mais c’est surtout parce que leur langue qui n’existe pas sonne avec des accents des pays de l’Est. Non, je ne suis pas raciste, non je ne suis pas entrain de dire que je n’ai pas eu d’empathie pour ces personnages parce qu’ils parlent comme des roumains, mais c’est que mon oreille n’est pas familière des langues aux sonorités gutturales et rugueuse, c’est une langue qui sonne étrangère à mon oreille et qui réduit aussi mon taux d’immersion avec un personnage.

Blogueur aux oreilles étroites

Cette émotion et selon moi un pur produit du gameplay et je trouve cela très fort et fort intéressant. Si j’étais mauvaise langue, ce que je suis, je ferais remarquer aussi que ce passage offre un gameplay très intéressant aussi parce que enfin il nous libère de la dualité, en ne dirigeant plus qu’un personnage on goût enfin à toute l’émotion du jeu. D’ailleurs, je disais dans ma critique que les passages en canoë ou en Deltaplane étaient parmi les plus intéressants, mais c’est peut-être justement parce qu’on ne fait plus qu’un avec notre frère …

Pour revenir à la noirceur qui parsème le jeu et qui m’empêche d’être certain que je suis en face d’un vrai jeu pour enfants, je voudrais parler de la scène du pendu. Elle aussi elle intervient comme un cheveu sur la soupe parce qu’elle ne sert à rien dans la narration, elle est gratuite. Et cette noirceur gratuite est très forte, encore plus peut-être que la scène d’enterrement. Au détour d’un décor un homme, une corde, un tabouret et nos deux frères qui doivent réagir vite s’ils veulent sauver la vie du suicidaire à moins qu’ils ne préfèrent être témoins de la mort de l’homme. C’est simple, gameplay efficace et scène troublante. Je n’arrive pas à comprendre précisément l’intention de cette noirceur ; est-ce là simplement une ficelle de plus que les développeurs ont voulu tirer pour mettre de la sombritude dans le jeu ? Et le fait que cette noirceur se distingue des autres ficelles qui convoquent plus pudiquement la tristesse comme la mort de la mère, l’obscurité, les loups, la phobie de l’eau, etc. est-elle un hasard ? Est-ce qu’en cherchant à aller plus loin dans la tristesse et la mélancolie le jeu bascule parfois dans le noir et une horreur froide ? Ou bien faut-il voir cette noirceur comme une filiation assumée mais presque anachronique avec les origines du conte ? Parce que les contes des frères Grimm ou ceux d’Andersen était toujours empreints de noirceur.

C’est ce que j’ai choisi de croire, parce que c’est la plus positive analyse et parce que j’ai envie de trouver du bon dans ce jeu. Brothers : A tale of two sons est donc une fidèle transposition vidéoludique des principes du conte qui ne recule pas devant la noirceur du monde réel hostile à ces deux frères. Mais bon cet aspect positif ne parvient pas à cacher que la maniabilité a gâché mon plaisir. Ce jeu me met presque en colère parce qu’il a de belles intentions, une noble ambition, mais il sacrifie tout cela sur l’autel de l’originalité. C’est triste un tel gâchis.

Et puis la fin, on en parle ? On sait donc que la fin du jeu n’est pas la mort du frère, ni même sa mise en terre. Il y a un épilogue derrière cela. Un épilogue qui retombe dans les travers narratifs du reste du jeu, c'est-à-dire qu’il rajoute du pathos sur le pathos déjà existant. Mais quand le jeu en fait trop dans cette logique, c'est-à-dire souvent, il fait décrocher le joueur que je suis. Donc il y a un épilogue, le retour du frère jeune, phobique de l’eau, porteur du remède pour le père mais porteur de l’annonce de la mort du fils. Il arrive chez lui, le père est guéri, cinématique, papa et son fils devant la tombe de la mère et du frère, le père pleur et fin.

Fin ?

Tout ça pour ça ?

Pas une morale ? Pas un épilogue de l’épilogue ?

Rien … Tu pars, tu affrontes le monde et tu reviens.

Bon, en tant que personnage le petit frère a vécu des trucs c’est vrai, mais pour nous les joueurs ont revient au point de départ et il ne s’est rien passé. Je trouve cette fin creuse, vide et inutile. La tension dramatique ayant atteint son paroxysme en amont, elle nous laisse devant la tiédeur d’une réaction attendue et puis rien. Ce jeu est énervant parce qu’on ne sait pas s’il est conscient de ses propres lacunes ou non. Sait-il qu’il fait intervenir le sommet émotionnel de sa narration juste avant sa fin ? S’il le sait pourquoi le fait-il ? Pourquoi veut-il finir sur une scène si banale ? S’il ne le sait pas alors le jeu est mauvais. Enfin c’est ce que j’en pense. C’est sûrement à cause de cette indécision que le jeu me laisse un goût d’inachevé très fort.

Bon, cette fois je crois que ça en est fini avec ma critique de Brothers : A tale of two sons.

Merci à vous

Il est mort ton frère, comme ta maman ... c'est la lose
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