On vient d'exhumer du désert américain une relique qui ne devait pas en être une, un stock de cartouches de jeux vidéo Atari 2600. Pas n’importe quelles cartouches, celles du jeu vidéo adapté de E.T. le film de Steven Spielberg. Ce sont les cartouches d’un jeu que l’on a estimé être si mauvais et tellement coûteux qu’à l’époque l’éditeur de cet ovni rétro culturel a fait le choix d’enfouir tout son stock de cartouches quelque part dans le désert du Nouveau-Mexique. Camion par camion il fit disparaître les traces de son jeu dans le secret d’un geste insensé. C’était une démarche, idiote et ridicule, une de ces gestes que seule la honte peut nous conduire à commettre. Et pourtant, cet acte stupide est devenu fondateur d’un mythe, d’une mythologie, d’une légende urbaine ; le lot de cartouches Atari 2600 de E.T. The Extra-Terrestrial enfouies dans le désert comme le secret des Templiers ou l'Arche perdue.

Enfouir sous le sable et la terre et les détritus d’une décharge le fruit pourri d’une production ratée comme le jeu E.T. : The Extra-Terrestrial c’était comme faire disparaître dans un terrain vague le corps sans vie du meurtre que l’on vient de commettre. C'est un geste de désespoir qui trahit la culpabilité de celui qui s’engage dans la voix de la dissimulation. Mais devant la honte l'être humain perd de sa rationalité, et comme l'autruche il pense que si personne ne voit ce qu'il a commit alors ce qu'il vient de commettre n'est pas grave. Cette histoire de jeux vidéo de la honte, cachés dans un désert aurait pu rester une légende vidéo urbaine hantant le non-conscient collectif d’une communauté de geek. Mais la curiosité tenace qui animait l'équipe de production d’un documentaire financée par Microsoft, a réussi à exhumer ce fameux lot maudit censé être détruit et caché dans le désert.

Dès lors le destin était changé et l'histoire du jeu vidéo par la même occasion connaît une minuscule secousse. Par ce geste de défiance à l’encontre d’une destinée damnée Microsoft a, pour ainsi dire, défié Dieu ou la grande roue cosmique du destin. Ils ont changé une légende semi-urbaine en vrai geste d’archéologue donnant à ce mythe une drôle de réalité.

Moi, joueur, j'aurais voulu que ce soit faux, que ce ne soit pas lui le lot disparu, j'aurais aimé que les cartouches restent à jamais enfouies et que leur mythologie gonfle. J'ai envie de croire que les jeux ont disparu quelque part dans ce qui pourrait être un Éden du jeu vidéo, un paradis perdu où perdurent les titres mythiques sur d'immenses écrans cathodiques qui éclaire ce paradis d'une lueur bleutée. Je n’ai pas envie d'être confronté à la réalité de ces jeux mal-aimés par leurs producteurs, j'aurais aimé ne pas voir que ces jeux gisent maintenant dans une décharge éventrée à coup de tractopelle et qu’ils sont ramenés à surface de l’actualité par des hommes en tenue et casque de chantier.

Il est parfois bon de garder ses mythes vivants c'est-à-dire mythiques. Certes, quand un mythe devient un ensemble de faits quantifiables par les vivants il perd sa valeur mythologique et devient de l’histoire, de la culture, et c'est à ce titre que cette anecdote devient intéressante. Ainsi, on peut dire que les hommes qui ont conduit les recherches autour de ce lot de cartouches E.T. : The Extra-Terrestrial sont les premiers à faire entrer le jeu vidéo dans le cercle fermé de l’archéologie. Le jeu vidéo était entré dans le cinéma depuis assez longtemps, depuis Tron on peut dire, il est entré en littérature comme sujet de SF mais aussi depuis peu en sujet d'étude aussi. Bien sûr, le jeu vidéo est aussi entré dans les musées, mais sans que sa place y soit très claire, objet culturel ou objet d'art ? Mais c'est la première fois à ma connaissance que le jeu vidéo entre dans l'histoire par le biais de l'archéologie. C'est intéressant non ? Une culture naît toujours de cela, à partir du moment où l'on met à jour ses fondements une culture prend corps. C’est pourquoi je m'avance à dire, avec une pointe toute petite d'ironie, que c'est peut-être ainsi que se fondra la culture vidéoludique … sur les décombres d’une anecdote entrant dans l’histoire par le biais d’une forme d’archéologie.

C'est pour cela que je ne pouvais pas ne pas parler de ce fait, de cette actualité, de cette réalité. Et pourtant c'est une actualité qui me semble aussi dérisoire qu’importante. La dimension fait divers est très large, on est dans la toute petite histoire de ce patron d'Atari qui un soir décide d’enterrer quelques milliers de cartouches de jeu dans le désert. La découverte du charnier vidéoludique confirme la réalité de l'anecdote. Mais c’est aussi, je n’en démords pas, un fait symbolique qui illustre d’une forme de naissance ou renaissance ; pas celle de la marque Atari ou du jeu E.T. : The Extra-Terrestrial, mais du jeu vidéo en tant qu’objet d’archéologie et donc comme objet culturel à part entière.

Cette anecdote amène le jeu vidéo à être considéré comme un simple objet culturel marqueur de l’histoire et du contexte de son époque ; et cela est rendu possible parce qu'il [le jeu vidéo] existe dans le regard distancié d’une sphère culturelle qui n’est pas la sienne. Bien entendu, on ne peut pas comparer les fresques de Pompéi à un lot de jeux vidéo déterrés dans une décharge, pourtant, l’espace d’un instant, les deux objets ont la même valeur informative ; ils nous éclairent sur un instant de vie d’une époque révolue.

Comme je le disais, c’est peut-être ainsi que le jeu vidéo forgera sa culture …

Vous remarquez comme le petit garçon avec E.T. sur la jaquette du jeu exprime de la tristesse ? C'est comme s'il savait à quelle destinée le jeu allait être confronté. Troublant non ?
Vous remarquez comme le petit garçon avec E.T. sur la jaquette du jeu exprime de la tristesse ? C'est comme s'il savait à quelle destinée le jeu allait être confronté. Troublant non ?
Vous remarquez comme le petit garçon avec E.T. sur la jaquette du jeu exprime de la tristesse ? C'est comme s'il savait à quelle destinée le jeu allait être confronté. Troublant non ?

Vous remarquez comme le petit garçon avec E.T. sur la jaquette du jeu exprime de la tristesse ? C'est comme s'il savait à quelle destinée le jeu allait être confronté. Troublant non ?

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