C’est officiel, je reviens à la critique de jeu vidéo. Et pour m’assurer un retour facile, une critique en zone de confort, je reviens sur un jeu clivant à l’esthétique tranchée et à la prétention émotionnelle élevée, j’ai nommé Unfinished Swan aka le cygne inachevé. Le jeu date déjà de 2012, fichtre que le temps passe vite. Définir son genre me paraît facile, et cela même si à sa sortie beaucoup ont voulu le ranger dans la catégorie des inclassables. Pourtant, on identifie rapidement le jeu comme appartenant aux jeux arty, ces jeux qui font d’un parti pris esthétique radical le ressort de leur salut, ceux qui aspirent à mettre en scène de la  poétique, de l’émotion, bref un jeu qui cherche à se démarquer en offrant au joueur une expérience émotionnelle avant une expérience ludique. Pourquoi pas, cela fonctionne très bien avec des jeux comme Journey, ce voyage étant selon moi le mètre-étalon du genre, un jeu auquel je déclare encore ma flamme aujourd’hui sans rien renier des émotions qu’il m’a fait connaître.

 

C’est donc doté de cette aura de jeu à émotion poétique, que le jeu est venu à moi, ou que je suis allé à lui. Techniquement je savais aussi que le jeu reposait sur une forme de FPS soft, où l’on incarne un jeune garçon armé d’un lance-billes à encre dans un monde immaculé ; Unfinished Swan c’était le jeu où tout est blanc et où l’on fait apparaître le décor l’encrant grâce à une arme non létale mais salissante. Avouez que la proposition est alléchante. Mais bon, finissons en avec les circonvolutions introductives et volons directement dans les plumes du volatile : qu’est ce que ça vaut comme jeu ?

La beauté d'un décor qui se révèle sous les impacts des billes à encre ... enfin beauté, âpreté, je ne sais pas, mais voilà l'esthétique du jeu au départ.
La beauté d'un décor qui se révèle sous les impacts des billes à encre ... enfin beauté, âpreté, je ne sais pas, mais voilà l'esthétique du jeu au départ.

La beauté d'un décor qui se révèle sous les impacts des billes à encre ... enfin beauté, âpreté, je ne sais pas, mais voilà l'esthétique du jeu au départ.

Bon, comment dire que je n’ai pas aimé le jeu en gardant une cohérence rédactionnelle ? Ce n’est pas facile à faire parce que mes déceptions sont variées. Je vais essayer de rester chronologique par rapport au déroulé du jeu, rassurez vous ça ne sera pas long car le jeu est court (trois heures) mais ce détail n’est pour moi source de déception, avec une pointe de cynisme j’irai jusqu’à dire que la courte durée de vie m’a sauvé d’un ennui certain. Mais je reviens à mon point de départ, le concept ; tout est blanc et l’on commence à maculer l’espace pour le construire. Encore une fois même en l’écrivant je trouve le concept séduisant, mais in game le concept éprouve très rapidement ses limites. Une limite esthétique premièrement parce que le jeu n’est beau seulement quand le décor est partiellement maculé. Déjà beau c’est difficile de le dire, disons que le jeu est parfois traversé par des moments assez esthétiques pour être remarqué. Quand tout est blanc le jeu n’a aucun intérêt visuel, c’est logique. Certes, au départ on s’émerveille de l’audace, mais rapidement on s’en lasse. Quand tout est noir, noirci, sali, quand on a colorié, rempli, saturé l’ensemble d’un décor en noir la dimension esthétique est gommée, dégommée. Donc visuellement le jeu est éprouve trop facilement sa limite esthétique ; souvent sans intérêt et parfois puissant. Ensuite, ce concept éprouve sa limite en matière de gameplay et de game design, pour des raisons évidentes, quand tout est blanc on ne voit rien, quand tout est trop noir on ne distingue plus les nuances. Je me suis souvent retrouvé à traverser une zone simplement en longeant un mur invisible ou en canardant bêtement un mur qui du coup n’était plus invisible.

 

Bien sûr, je serai de mauvaise foi en disant que jamais le concept offre de beaux moments d’esthétisme, c’est vrai, il y a parfois des scènes où cette mécanique de remplissage par aplats de noir fonctionne et permet de révéler un joli morceau de décor. Mais en jouant à Unfinished Swan j’ai toujours eu le sentiment que les choses étaient éphémères, soit parce que rien ne m’invitait à rester dans un lieu, niveau, décor pour en apprécier la beauté ou la lucidité soit parce qu’un lieu esthétique va rapidement être gâché par un tir d’encre mal placé, mal placé dans le sens faute de goût. Et il y a autre chose avec cette esthétique émergente ; quand elle est la plus belle c’est quand elle renvoie à une esthétique d’œuvres plutôt violentes. Je pense ici à l’esthétique de Sin City de Frank Miller ou à l’esthétique de MadWolrd sur Wii. Or Unfinished Swan avec son noir & blanc tranché, sans nuances, la violence des œuvres auxquelles il renvoie, tranche complètement de l’esprit du jeu qui se veut être un compte pour enfant. Mais je voudrais revenir sur l’esprit ou l’ambiance de ce jeu un peu plus tard. Avant cela, je voudrais parler d’autre chose, l’échec du concept.

Sin City pour ceux qui ne reconnaîtraient pas
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MadWolrd le mythique jeu Wii
MadWolrd le mythique jeu Wii

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Depuis le début, je vous parle de ce jeu comme d’un jeu avec un concept fort et tranché et c’est globalement comme cela que j’en avais entendu parlé à l’époque de sa sortie. Mais la réalité de ce cygne inachevé c’est que ce concept de départ, ce concept fort, le jeu ne le tient pas jusqu’au bout. Et même plus, le jeu l’abandonne lâchement après un petit tiers du scénario. Au final Unfinished Swan c’est comme dans les boites de nuit, c’est trois salles, trois ambiances ! même ici dans notre cas on devrait plutôt dire trois chapitres, trois concepts. Le premier concept, le plus fort, le plus visuel, le plus clivant, le plus audacieux aussi c’est donc lâcher le joueur dans un univers immaculé, sans relief, sans rien et le laisser découvrir le décor en tirant dessus. On lâche ensuite ce concept pour entrer dans un chapitre où le héros a remplacé ses billes d’encres par des billes d’eau et le jeu qui était une forme de FPS d’aventure / découverte se mue en FPS de plate-forme dans une ville déserte et blanche. On entre ici dans la phase Mirror’s Edge du pauvre. On se déplace, on active des mécanismes, on avance sans adversité, on ne peut plus rien recouvrir ou découvrir du décor et autant le dire, on s’ennuie fermement. Après on passe au chapitre où notre pistolet à eau nous sert à arroser des plantes pour grimper et on continu cette exploration plate-forme sans risques ni enjeux. On se demande où se trouve le concept fort du jeu, on ne le trouve pas, et sans cela le jeu est un maigre jeu de plate-forme sans aucun intérêt. Que penser d’un jeu qui n’est pas capable de tenir ce concept tout au long de son scénario ? Est-ce parce que le concept est mauvais ? Est-ce parce que le jeu recule devant la difficulté et l’ambition ? Comment ne pas se sentir floué par le jeu et ses développeurs ? Après ce passage sous Mirror’s Edge qui est le plus long passage du jeu, on arrive à un niveau qui propose un univers noir dans lequel le héros doit avancer de zone de lumière en zone de lumière, suivre une source lumineuse, bref, on en est réduit à pas grand-chose et surtout on est loin de la proposition de départ. 

En haut Unfinished Swan, en dessous Mirro's Edge ...
En haut Unfinished Swan, en dessous Mirro's Edge ...

En haut Unfinished Swan, en dessous Mirro's Edge ...

Fondamentalement je ne vois pas de mal à proposer différents gameplay et varier les expériences du joueur au sein d’un même jeu. C’est même plutôt une bonne chose si cela est bien dosé et qu’un concept permet d’unifier ces différentes formes au sein d’une même expérience. Il faut un monde, un scénario, une ambiance, une narration, un je-ne-sais-quoi pour les unir tous. Et cette chose, pour moi, manque à Unfinished Swan. Parce que le scénario, parlons-en. Il est où le scénario ? Sûrement dans les quelques lignes disséminées le long de l’aventure pour en dévoiler un peu sur l’univers et l’histoire. Sauf que non, enfin oui, les bribes sont là, mais elles sont tellement lacunaires, mystiques, métaphysiques, enfantines, déplorables, déroutantes ou mauvaises, que je n’ai pas réussi à entrer dedans. J’ai, peut-être à tort, l’idée qu’un conte pour enfants doit pouvoir être pitché en quelques mots, et être facile à comprendre. Et ce n’est pas le cas ici. Est-ce que le jeu a opté pour un parti pris cryptique afin de renforcer l’impression poétique ? Ou l’immersion émotionnelle ? Je ne comprends pas. Et je me retrouve donc avec un jeu dont le fil narratif ne me retient absolument pas.

 

Ce qui me conduit à me poser la question de l’émotion, de la poétique, bref, de la plus-value arty d’un tel titre. Et bien je la cherche encore. Je ne nie surtout pas que le jeu vidéo de manière générale puisse être porteur, générateur et vecteur d’émotion pour un joueur. Mais par contre j’affirme qu’Unfinished Swan ne parvient pas à donner cela aux joueurs. Je veux bien que ce soit un conte, un conte pour enfants, je suppose, je veux bien que le jeu vise donc un jeune public, mais est-ce la raison qui pourrait justifier que je suis insensible à l’émotion du jeu ? Est-ce parce que je ne suis pas le cœur de cible d’un tel jeu que je reste insensible à ses ambitions ? J’en doute, même lorsque l’on n’est pas directement ciblé par un jeu, un livre, un film, on est en mesure d’en percevoir la charge émotionnelle ou poétique, on est capable de l’identifier  même sans la ressentir. Et ici ce n’est pas le cas, j’ai beau chercher je ne vois pas où peut se loger l’émotion.

 

À moins que …

 

À moins que l’émotion provoquée ou celle recherchée relève de l’angoisse. Et c’est à ce moment-là que je reviens sur ce que je disais plus haut sur la rupture que je vois entre l’esthétique noire et blanche du premier tiers du jeu et son ancrage du côté de la violence. Lorsque je suis parti dans ce jeu, j’ai essayé de suivre les codes que le jeu me donnait, ceux du conte pour enfants dans un jeu où la violence est la plus limitée possible. J’ai peut-être un peu trop rapidement évacué de mon esprit la dimension angoissante du conte, sa dimension cathartique. C’est vrai que le conte, comme forme narrative, je ne la pratique quasiment jamais, je n’en ai donc pas les codes. Donc peut-être que l’aspect plutôt angoissant du jeu n’est pas un faux pas, mais un parti pris assumé et cohérent avec l’œuvre. Parce que de l’angoisse j’en ai ressenti tout au long du jeu. Jamais beaucoup, jamais par pic énorme, mais plutôt de manière diffuse et indistincte, notamment par le grand vide de ce jeu. À mesure que l’on progresse dans cet espace urbain vide, désert, s’insinue une forme d’angoisse et j’ai considéré cela comme un marqueur de l’échec du jeu. Mais peut-être est-ce volontaire. Malheureusement, je pense que si Unfinished Swan a un défaut avéré c’est que justement il ne donne pas d’indices permettant de décrypter cette forme langueur angoissante. Ce que je veux dire, c’est qu’encore une fois, l’angoisse dans un jeu vidéo, le sentiment de malaise, je l’accepte, je trouve même cela très bien quand je sais que le jeu va me le provoquer. Dans ces cas-là, je sais ce que je viens chercher et si je le trouve je suis satisfait. C’est par exemple le cas de Limbo qui, lorsque j’y joue, me provoque toujours un petit sentiment de malaise, mais je ne vais pas critiquer le jeu là-dessus puisque c’est ce que j’attends de lui. Mais avec Unfinished Swan, c’est différent parce que justement je ne sais pas ce que je peux attendre de ce jeu et donc comment je dois recevoir ce que j’y trouve.

 

Avec son entrée toute noire et blanche qui progresse par grandes phases de dilution du jeu et du joueur dans le blanc et puis son corps qui laisse le joueur explorer une ville déserte au blanc immaculé mais à l’architecture qui trahi une forme de torture  psychique (qui semble être reprise par la narration du conte) Unfinished Swan pourrait tout à faire incarner l’expérience ludique d’un mauvais rêve, un demi cauchemar ou un mauvais trip. Sauf que je ne suis pas sûr que ce soit son intention. Et, finalement c’est sur ce doute, petit mais sérieux, cette incertitude quand à ses intentions, que je conclus à l’échec de ce titre. Un échec à différents niveaux, celui du concept esthétique du départ qui handicap je trouve le gameplay et le level design, et ensuite échec des intentions, de la narration, de l’émotion. Les autres petits détails négatifs du jeu, son faible attrait et sa maigre re-jouabilité, ce que j’ai envie d’appeler son problème d’échelle entre le personnage et le décor (j’ai la sensation que le personnage est légèrement trop petit), ses musiques irritantes, la non physique de l’encre (elle ne coule pas, ne marque pas si on marche dedans) ne sont que des points de détail qui relèvent plus de mon goût qu’autre chose. Mais globalement je considère Unfinished Swan comme un échec, une proposition ludique bancale soutenue par une proposition esthétique trompeuse.

 

Ce qui est frappant avec ce titre, c’est qu’il aurait pu être un jeu artistique, mais qu’il n’y parvient pas. Voilà, j’ai attendu la fin de ma critique pour lâcher l’adjectif, artistique, et c’est casse-gueule. Un jeu qui démarre sur ce principe de page blanche, un jeu qui entre dans le rêve d’un roi qui veut effacer puis redessiner son royaume, un jeu qui arme le joueur avec de l’encre, c’est un jeu qui s’avance vers une lecture artistique, au moins de son esthétique. Et au-delà de l’aspect ludique en lui-même, par-dessus cela, il y aurait pu y avoir un discours, un dialogue, une réflexion sur l’art, sur le dévoilement ou dieu sait quoi. Mais non, Unfinished Swan utilise un outil mais semble être totalement sourd à un quelconque discourt sur ou autour de cet outil. Pour un jeu qui utilise le principe de l’encre, celui de la page blanche et même d’une certaine façon (si on a le même esprit tordu que moi) le principe du test de Rorschach ne pas parvenir à évoquer l’art est un tour de force. Je ne sais pas si c’est lié à cela, mais l’expérience de jeter de l’encre pour dévoiler le décor devient lassant, on y éprouve rapidement plus aucune jubilation. C’est même triste, le geste du jet, le jet d’encre qui fait jaillir le décor devient automatique, industriel, dénué d’intérêt.  Du coup, vidé de cet enjeu possible autour de l’art le concept même de départ sur lequel repose le jeu tombe à plat. C’est triste, oui, le jeu est triste et donc le jeu est décevant.

 

Je me demande bien ce que ce jeu vient faire sur PS4. Personnellement je me suis forcé de le terminer simplement afin de pouvoir le supprimer de ma PS3 et en faire une critique. Je suppose qu’il faut de tout pour faire un monde, mais des jeux ambitieux qui échouent devant leurs ambitions. Et donc si vous cherchez un jeu qui exprime une vraie poésie au travers de son expérience de gameplay, il faut vous tourner vers Journey qui reste pour le moment un objectif non atteignable par rapport à un titre comme Unfinished Swan. D’ailleurs, ce dernier n’est pas dupe, il sait qu’il n’égale pas l’expérience de jeu qu’offre Journey et pour preuve, à un moment donné le héros d’Unfinished Swan arrive dans un observatoire, on peut alors coller son œil au télescope et zoomer vers une planète perdue dans le ciel jusqu’à ce que l’image nous permette de reconnaître le décor et les héros de Journey.   Je trouve que ce clin d’œil résume bien l’idée de ce jeu qui voudrait, mais qui ne parvient pas à approcher ses ambitions.

 

Merci à vous d’avoir suivi cette critique, merci à ceux qui me poussent à être meilleur. Merci à ceux qui pensent que je le suis (meilleur). Merci aussi à ceux qui me trouvent médiocre parce qu’ils me poussent aussi à m’améliorer.

Voici la vue qu'offre le téléscope dans Unfinished Swan, une vue qui est Journey !

Voici la vue qu'offre le téléscope dans Unfinished Swan, une vue qui est Journey !

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