Sucker Punch et le geste poétique
11 avr. 2011Je suis allé voir Sucker Punch avec la ferme intention d’aimer ce film. Cet article retourne de l’expérience d’un homme qui veut aimer un film et qui pour cela va trouver en lui - et autant dans le film que dans son statut de spectateur - la matière et la façon de la façonner pour aimer ce qui aurait pu ne pas l’être.
Je le dis, je l'avoue, je le confesse : j'ai vu Sucker Punch et j’aimé ça, oui j’ai aimé, j’ai même adoré ce film, j'ai même pris mon pied en même temps que celui de Zack Snyder parce que ce film est un film coup de poing sur la créativité. Un film qui témoigne du combat violent qui se passe dans les parois osseuses du crâne Zack Snyder. Et moi, entrer dans l’esprit de ceux assez fous pour vous ouvrir leur crâne comme d’autres ouvrent leur cœur, j’aime ça. Sous l’esthétique dense et riche de Sucker Punch il y a un esprit qui se met à nu et qui met à nu ce qu’il a de plus intime : son processus créatif.
Zack Snyder est une forme d’esthète virtuose dans la représentation de l’action et dans l’esthétisme formel de la violence. Jusqu’à présent il avait toujours mis son talent au service de défis d’adaptations. Avant ce film il s'est toujours confronté à des œuvres majeures, pesantes, oppressantes qui prennaient à leur charge la part narrative. Mais dans ce que je suppose être une quête d’artiste abouti il lui fallait réaliser une œuvre d’émancipation pour prouver au monde qu’il n’est pas qu’un habile artisan au service du talent narratif des autres. Un bel enjeu ; celui de raconter une histoire.
Sucker Punch est un film de corps et d’esprit qui fait un pied de nez à ceux qui attendaient le réalisateur au tournant de son premier ouvrage de libre expression ; on attendait qu’il nous raconte une histoire mais l’histoire qu’il a choisi de nous raconter c’est son histoire à lui, celle d’un homme qui veut raconter une histoire mais qui ne parvient pas à le faire. Le film entre de plein pied dans la forge inventive du réalisateur à travers le prisme de Blue, alter égo onirique, obsédé et névrosé du réalisateur. Il n'y a rien d'autre, pas de réelle narration, pas de personnages persistants, juste des prétextes pour faire entrer le spectateur dans les coulisses de l’esprit de l’ami Zack.
La séquence d’ouverture campe directement l’enjeu du film ; une série de rideaux rouges s’ouvrent et se lèvent sur un plateau de théâtre où se joue la première scène. La caméra avance, on plonge dans la scène et le dispositif théâtral disparait au profil du film ; nous entrons dans l’esprit du réalisateur. Un peu plus loin dans la séquence cette même caméra dévoreuse d’espace et avide de mouvements irréalistes passe par le trou d’une serrure et entre dans la pupille de Baby Doll héroïne générique du film et le film se développe alors dans ce nouvel espace.
La serrure puis l’œil porte symbolique sur l’esprit, l’estrade du théâtre lieu de tous les possibles, du faux semblant et de l’illusion, faut-il en dire plus pour comprendre que le film nous emporte dans un esprit tortueux en quête d’histoire à raconter. C’est d’ailleurs le pitch de Sucker Punch : une jeune fille internée dans un asile va se construire des histoires imaginaires pour s’échapper. Mais à quoi Zack Snyder veut-il échapper ? Chercher t-il à échapper à sa propre ambition ? A son statut ? A ce que l’on attend de lui ? Le réalisateur est pris au piège de ce premier film où il est seul maître à bord.
Dans ce plan où nous traversons l’œil de l’héroïne tout nous est dit : rien ne sera vrai, tout n’est qu’imaginaire, projection, jeu, fantasme, peur, décor. La première séquence filmée sans dialogue, sans couleur - tout en couleurs désaturées - nous présente une caricature de tragédie, bref cette séquence est filmée sans soucis de narration mais avec un maitrise stylistique presque virtuose, un pur style porté par une reprise troublante de Sweet Dreams. A un moment Baby Doll se glisse en dehors du décor et revient dans le décor - dans une conception spatiale absurde - trempée, mouillée par la pluie du dehors et du réel parce que le réel est hors champs, le réel est en dehors du décor, les décors et l’action qui prend corps sur ce plateau théâtral n’est qu’une illusion. Le spectateur est le réel mais le film n’invite pas le spectateur à le rejoindre, dès le premier plan on nous rappel notre position, la hiérarchie est claire, je serai le spectateur et Zack Snyder le démiurge.
L'image du théâtre comme lieu de tous les possibles est reprise par deux fois après cette séquence d’ouverture pour être sûr que le spectateur comprenne bien la logique du film. Une première fois quand Baby Doll entre dans l'asile on lui présente la salle commune comme Le Théâtre salle où se trouve une estrade sur laquelle la psy rejoue les scènes clefs de la vie des patientes. L’estrade est ce lieu de création mais c'est aussi dans cette séquence le lieu où l’on rejoue le réel ; l’estrade est une forme de caverne platonicienne sur laquelle un reflet déformé du réel prend vie. L’œil averti aura remarqué que la scène monté sur l’estrade de l’asile est la même scène que celle qui ouvre le film. Le second rappel au dispositif théâtral qui agit comme le point d’orgue de son dispositif de monstration de sa création arrive quelques instants après que Baby Doll ait été abandonnée dans cet asile. Le film nous emmène à l’instant de sa lobotomie mais la scène vole en éclat au moment où les personnages grimés les uns dans les autres cessent de jouer ces rôles rappelant que tout ceci n'est qu'une mise en scène et que cette mise en scène est bancale. Nous sommes toujours spectateur, spectateur ou témoin de ce qui se trame en coulisse d’un spectacle et que ce soit bien clair nous sommes dans l'esprit du réalisateur.
Dès lors tout ce que le film nous donnera à voir c’est de l’imaginaire en bouillonnement brouillon, c’est de la création en action, c’est une quête : celle de l'inspiration. Le film déroule sa narration dans l’arrière chambre du faux semblant, dans les coulisses d'un cabaret burlesque et onirique. Nous sommes du côté où le spectacle se construit, les loges, la salle de répétition de danse, etc. On comprend que le film emplie et superpose différentes réalité, il dévoile et voile en même temps son propos à la manière d’un bruissement dans la clairière de Heidegger qui est le lieu d’avènement et de disparition des choses. C’est la force poétique du film, ne rien nous raconter de palpable mais nous faire ressentir une émotion, une vibration autour du geste poétique. Sucker Punch est une ode post moderne et pop culture au geste poétique.
Le talent de l’héroïne est d'être doué pour un art. Son art c'est la danse, c'est un art qu’elle se doit de pratiquer dans la contrainte. Baby Doll est en devoir de danser. Mais nous ne verrons jamais sa danse, ce que choisit de donner à voir le film c’est ce moment où dans son for intérieur elle va puiser dans son imaginaire ce qui lui fera source d'inspiration. A chaque fois qu'elle doit danser le film nous fait entrer dans l’esprit de Baby Doll et s’enclenche alors une scène d’action violente et filmée de façon virtuose par Zack Snyder.
Chacune de ces scènes d’action reposent sur ce postulat ; Baby Doll, la lolita insipide presque générique, doit danser de façon magique et cela nécessite qu'elle trouve de l’inspiration pour se transcender. La réussir de sa quête d'inspiration ne peut s'accomplir qu’au travers une lutte violente. C'est à travers ces scènes que Zack Snyder exprime la difficulté que l'artiste éprouve pour accoucher de son art. Trouver la juste respiration de la création artistique est une chose âpre et amère, nous sommes loin de l’inspiration comme une fulgurance qui vient frapper l’artiste, ici l’artiste ou la muse doivent se battre avec les idées, les sentiments, les influences et le déterminisme culturel pour aboutir à un geste poétique viable. L’héroïne du film est la muse, ce qui explique en un sens son coté éthérée - euphémisme pour dire insipide - qui inspire le réalisateur c’est le personnage de tous les possibles, un vase fragile à remplir d’essence vitale. Et en même temps Baby Doll est elle l'inspiration de Zack Synder pour ce film.
A aucun moment nous ne pouvons sincèrement croire que cet imaginaire érotico guerrier rempli de jeunes filles en tenues légères, de nazis-robots-zombies, de dragon fantastique et de robots de l’espace appartient à l’héroïne devenue fraichement orpheline dans une Amérique sans âge mais que l’on pourrait planter dans les années 50. Cet imaginaire bouillant dont les éléments semblent sortis d’une culture SF contemporaine, ce chaos jubilatoire de référence est nécessairement celui du réalisateur. Chaque élément du film n’est qu’une bribe de l’imaginaire éclaté du réalisateur. C’est pour cela que l’histoire comme les personnages sont dépourvus de moelle et de profondeur. Ils ne sont pas des personnages à part entière mais des avatars parcellaires de Zack Snyder, des fantasmes, des rêves, des passions, des pulsions. Et c’est fascinant de parcourir ce film en quête de fantasmes en fuite surtout quand, comme moi, on y retrouve ses propres fantasmes. Le foisonnement chaotique du film incarne le foisonnement chaotique de la pensée, son bouillonnement généreux quand on réveil en soit la créativité.
Mais ce geste créatif n’est pas ancré du coté de la facilité et du plaisir. Au contraire en choisissant la métaphore de la lutte pour représenter le mouvement chaotique et violent de l’imaginaire en quête d’une idée créative le réalisateur se poste du coté d’un combat épique et mortifère. Ces scènes d’actions figures de l’investigation de l’imaginaire se situent toujours dans un décor en ruine où convergent, s’épousent ou s’opposent des éléments éclectiques issus des cultures et des inspirations du réalisateur. Le film convoque le passé, l’histoire, la science fiction, le fantastique, le futur, l'orient, la musique, l’art comme autant d’élément éparses de la culture de Zack Snyder. Et si le film est boursoufflé de ces références à la culture pop cela n’empêche pas que de ce maelstrom grouillant s’échappent parfois des éclaires de génie stylistique et visuel.
Sucker Punch nous montre la quête d'un réalisateur qui recherche à faire un film mais qui confesse ne pas y parvenir. Un de personnages important du film est une chorégraphe, incarnation de l’artiste qui doit partir d'une idée abstraite et lui donner corps. Mais de la même façon que nous ne voyons jamais les filles danser, jamais nous ne voyons la chorégraphe enseigner, transmettre, influer sur ses danseuses. Elle est l’incarnation de l’échec du réalisateur qui semble incapable de contrôler ses muses et ses inspirations et qui se contente de les mettre en scène en les laissant emporter le spectateur là où elles le veulent. Les idées ont le pouvoir, pas tout à fait les idées mais les passions du réalisateur. Tout le film est truffé de ces références au spectacle qui ne parvient pas à naître comme il faut, Blue veut jouer avec ses jouets parce les autres jouent à sa place clin d’œil grossier de Zack Snyder qui nous rappel qu’il a longtemps travaillé avec les histoires des autres nous témoignant sa volonter de jouer avec ses jouets à lui sauf que Blue est incapable d’assouvir ses fantasmes de metteur en scène confession du réalisateur incapable de nous proposer une véritable histoire.
Le film est sincère, cohérent, il convoque régulièrement les avatars du réalisateur - Blue l’infirmier/proxénète/directeur artistique et la chorégraphe - dans des postures passives de spectateurs aveu criant du réalisateur qui nous dit qu’il ne peut pas dompter ses inspirations parce qu’il a pour elles une trop grande admiration. Et le film rend hommage à cela, à la passion, le feu brûlant qui anime un réalisateur tant et si fort qu’elle le paralyse. Comme le dit Blue il voit tout le monde jouer avec ses jouets à lui et il n'a qu'une envie : prendre ses jouets pour y jouer à son tour. Et c'est ce qu'est le film ; une régression enfantine et jubilatoire. C'est aussi cela, ces moments où enfant vous preniez vos Gi-Jo pour attaquer le bateau pirates des Playmobile contrôlé par un robot géant. C'est donc aussi cela Sucker Punch, un jeu sans queue ni tête, c'est ce que nous avons tous fait un jour quand nous étions enfant. C'est en cela que c'est un fantasme, ce n'est pas parce qu'il met en scène des jeunes filles court vêtu que le film est fantasmatique, c'est parce qu'il réalise un fantasme de gamin qui joue avec des jouets éclectiques.
Mais c'est aussi un film sur la création. Oui un film sur l'art, sur le semblant, la représentation, le décor. Ce n'est pas le premier à faire le parallèle entre la folie et la créativité. L'asile comme un squat d'artiste où chacun est libre de transgresser les règles. Et les règles ici se dissolvent comme l'espace et la temporalité du film. Il n’y a pas plus de cohérence dans la narration que de cohérence dans l’espace et dans les échelles - de temps -. Cette forme de fractionnement virtuose retranscrit le bouillonnement intellectuel qui fait jaillir des éclairs de génie mais qui aussi se noie dans ses propre remous. L'espace dans le film n'a aucun sens, aucun direction, aucune dimension et de toute façon dès le départ le film nous dit que nous serons dans du décor, du carton pate et de l'illogisme, les miroirs n'en sont pas, la caméra navigue librement d’une surface à l’autre, d’une époque à l’autre. Un film sur la création ; un film sur le processus de création où chaque item que les héroïnes doivent trouver sont autant de référence à l'art, la carte pour le dessin, le couteau pour la sculpture, la clef pour la musique, le feu et le but se rejoignant dans ce que l'art a d'inspiré, le feu et ce feu sacré ce "je ne sais quoi" qui relève du talent quand au cinquième item, le but c'est le sens de l'art, le sens de l'œuvre, la part de soi que l'artiste met dans sa création.
C'est ce qui fait de Sucker Punch un grand film, c'est un film qui explose là où on ne l'attend pas ; ce n’est pas un film sur l’action, encore moins un film sur la folie et l’enfermement, mais c’est un film sur l’incapacité à dompter le geste poétique. Pas par manque de savoir faire mais parce que le feu qui brûle au cœur de la création est si fort qu’il consume les forces du réalisateur le confinant non plus au rôle de démiurge mais à celui de spectateur. Sucker Punch est donc un hommage à la passion, à la passion des idées, des concepts, à ce qui fait l’immatériel de l’inspiration. Tout le film est en dévotion pour le geste créatif avec un tel respect, une telle déférence qu’il se refuse même à le montrer. Il y a une franchise étonnante dans le discours de Zack Snyder qui à travers l’échec de son alter égo onirique confesse son incapacité à contrôler ce qui l’inspire. Mais Sucker Punch est présent là où on l’attend, sur le terrain de l'action et de l’esthétisme. Bien sûr même l’action est mise au service de cette représentation du geste créatif, car au fil du film l’action se montre de plus en plus confuse dans sa représentation à la manière d’une pensée qui d’être parti trop loin dans sa réflexion fini par perdre de vu son point de départ et son point d’arrivée.
A vous de voir si cette critique est comme le film, un égo trip délirant qui se regarde écrire où si c'est une éloge sincère et outrancière d'un film qui aurai pu ne rien dire de plus que ça propre vaccuité. Merci de votre lecture.