Dans l’un de ses derniers articles l’ami @aquab0n se demande pourquoi on préfère la banane à la pomme - et inversement - et à partir de là soulève une question que j’ai trouvé intéressante : Qu'est ce qui détermine notre gout en matière de jeu vidéo ? Bien sûr la question se pose aussi bien pour la littérature, que le cinéma, la cuisine, les goûts vestimentaires et pour à peut près toutes les choses que l’on peut juger avec une dose de bon ou du mauvais goût. Mais ramener la question du goût au jeu vidéo me semble intéressant parce que le blog traite de jeu vidéo mais surtout parce que ça soulève à mon avis d’autres questions aussi intéressantes comme par exemple qui aujourd’hui est en mesure d’éduquer notre goût en matière de jeu vidéo. Vu que mon article développe le commentaire que j’ai laissé sur l’article d’aquab0n je vous invite à lire le sien - et d’ailleurs à lire tous ses articles -.

 

Il est vrai que pour ce qui relève du gout gustatif - celui de la pomme ou de la banane - il y a une part de détermination biologique et/ou génétique dans nos penchants. Une capacité à sentir l'amer, l'acide, le sucré, etc. qui nous permet d'établir sur un mode « archaïque » ce que l'on aime ou pas. Je dis archaïque parce qu’on verra par la suite qu’il est possible d’éduquer son goût. Mais pour ce qui relève d'un gout esthétique ou "intellectuel" je ne crois pas que l'on puisse parler de déterminisme génétique ou biologique ; quand on dit d'un jeu qu'il est tellement moche qu'il nous fait mal aux yeux c'est une expression et heureusement pas une réalité. Je considère que le goût est une "valeur" et une variable qui relève de notre culture. Notre culture personnelle étant elle même le mélange de ce qui relève de l'expérience, de l'affect et de nos souvenirs nous conduisant empiriquement à dire j'aime une chose avec laquelle j'ai passé un bon moment et dont je garde un bon souvenir par exemple je passais de super vacances avec mon meilleur ami à jouer à Mario Bros avec ce qui relève de l'idéologie institutionnelle qui dicte et défini la norme de ce est censé être beau et bon à une période donné de l'histoire. Par exemple aujourd'hui dans les jeux vidéo il semble que le canon du beau soit ce qui est photo réaliste genre Uncharted 3 ou Assassin’s Creed et même Battelfield ; quand on lit les tests ce sont souvent ces jeux qui reviennent comme référence de la réussite graphique. A contrario un jeu comme El Shaddai avec une esthétique aussi radicale et décalée de la norme n’est jamais mentionné alors qu’on peut le trouver infiniment plus beau que Uncharted. Normalement c’est là que vous dites « tous les goûts sans dans la nature » ou encore « chacun ses goûts » voir même « non mais tu dis n’importe quoi ! Achète toi une paire de lunette, voir même de jumelle ». En effet le goût est d’abord une histoire personnelle … et donc le goût est une question personnelle, intime, subjective et irrationnelle. Non le terme de « irrationnel » n’est pas à propos, on peut toujours trouver en soi les racines « logiques » de notre goût, le goût n’est donc pas irrationnel mais sa profonde subjectivité le rend anormal et c’est dans ce sens que je le dis irrationnel, le goût rompt avec la norme même si la norme l’a construit. Le goût ne repose pas sur la norme, il s’étalonne par rapport à elle mais il exprime toujours en premier lieu un affect personnel. La norme permet de juger si le goût que l’on a relève du bon ou du mauvais goût sachant que ce jugement de valeur est soumis à l’évolution de la société qui fait bouger les lignes de ce qui est de bon goût et de mauvais goût. Pourtant l’idée que le goût est une chose irrationnelle me travail, parce que je ne peux pas dire que le goût est une chose rationnel, si tel était le cas alors tout le monde aurait le même goût et cette situation absurde n’est ni réaliste ni souhaitable.

 

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Par défaut on aime ce que cette savante équation du bon, du bien, du beau personnel et de l’institutionnel nous désigne comme chose que l'on aime. Mais en rester à cette conception serai très fataliste, par chance nous sommes des êtres humains dotés d'un esprit critique et d'une forme de liberté qui nous permet de sortir de ces cadres pour apprendre à aimer autre chose. Déjà le simple fait de l’expérience, écouter le même style de musique, regarder le même type de BD affine notre goût, preuve que la chose est évolutive. C’est là l’autre caractéristique du goût c’est qu’il se forge, s'éduque, s'entraine. On peut tout aussi bien apprendre à aimer la cuisine réunionnaise même si au départ le piment gâche nos expériences gustatives, apprendre à aimer la cuisine asiatique même si le sucré salé ne fait pas parti de notre éducation ou tout simplement apprendre à boire le café sans sucre comme un homme en sachant apprécier ses arômes et son amertume même si quand on est gamin notre palais n'est pas préparé à cela. Pareillement on peut apprendre à aimer la poésie surréaliste, la peinture abstraite, le cinéma de la nouvelle vague ou la musique concrète si on éduque notre goût à cela. Et c’est à mon sens la même chose pour le jeu vidéo. Au départ selon notre histoire personnelle on va peut être aimer plus tel ou tel genre, le J-rpg, les Fifa, ou les lapins crétins et puis petit à petit on peut évoluer vers d’autre genre. D’ailleurs on a tous fait cela, tous les joueurs on un jour étaient des casual gamer, des noobs n’appréciant qu’un seul jeu ou type de jeu et petit à petit ils se sont forgé un goût pour aimer d’autres jeux. J’ai un exemple tout con et très récent avec moi-même comme sujet d’étude. Quand j’ai acheté ma PS3 un des premiers jeux que je me suis procuré c’était Mirror Edge parce que j’en avais lu beaucoup de choses biens à son sujet. Quand j’y ai joué j’ai été déçu, je n’ai pas adhérer au principe, je ne comprenais pas l’intérêt de jouer à avancer dans une ville en sautant sur des trucs rouge, j’ai donc revendu le jeu. Presque deux ans après, deux à jouer, à réfléchir, à partager avec des gamer et à lire sur le jeu vidéo j’ai eu envie de rejouer à ce jeu et cette fois j’ai totalement adhéré ; mon goût s’est petit à petit éduqué pour apprécier la spécificité du « jeu de déplacement ». Bien sûr comme le suggère aquab0n dans son article le goût se forge aussi avec d’autres éléments que le beau ou le bon. La morale par exemple peut intervenir dans ce qui va nous faire aimer ou pas un jeu ou un type de jeu. Pour parler encore une fois d’une personne que je connais - moi - j’ai par exemple plus de mal à apprécier les jeux où l’on tue les gens de façon gratuite - comme dans tous les GTA-like - à contrario je n’ai aucun soucis pour tuer des « méchants », des robots, des animaux ou des formes de vie extraterrestre. Réellement quand je joue trop longtemps à un GTA-like - plus de deux heures ce qui n’est pas énorme - je me sens mal, j’étouffe, je me sens mal alaise alors que je peux tuer des robots ou des gangsters pendant des nuits sans rien ressentir de négatif. Le goût est donc l’expression d’une chose qui m’est intime. Mais je pourrais travailler sur les causes de cet excès de pudibonderie pour apprendre à apprécier mieux les GTA-like. Faire évoluer son goût c’est souvent évoluer soi même.

 

où ça devient très intéressant c’est quand on se demande qu’est ce qui forge aujourd’hui notre goût en matière de jeu vidéo. Je pense que pour dépasser nos déterminismes de départ en matière de goût culturel il faut que l’on soit éduqué, guidé et aidé. Il faut que l’on nous donne les clefs de compréhension d’un genre, d’un mouvement, d’un style. Bien sûr qu’il est possible de trouver ces clefs de compréhension seul si on fait ses propres recherche sur un style ou un genre mais ça demande une capacité d’initiative, de compréhension et d’abnégation assez grande. Il est quand même plus facile d’appréhender une chose à laquelle notre goût n’est pas éduqué par le biais d’un « passeur ». Les gens passionnés sont les meilleurs passeurs je trouve, quelqu’un de passionné peut me donner envie de voir, de lire ou d’écouter n’importe quoi s’il en parle avec passion. Pour la littérature on pensera ce qu’on voudra mais l’école joue encore plus où moins encore ce rôle ; personnellement il y a des choses que je n’aurai jamais lu si je ne les avais pas d’abord abordées à l’école. Par la suite si je n’avais pas abordé l’art et l’histoire de l’art à la fac je n’aurai certainement pas eu la démarche de me forger ce gout là. Pour la musique et le cinéma le cercle familial peut jouer une part dans notre éducation à tel ou tel genre ; un père, un oncle, une cousine peut nous transmettre sa passion pour le rock’n roll, le free jazz ou la musique concrète. Mais quid des jeux vidéo ?

 

les jeux indépendants

 

Qui est-ce qui nous forge notre goût en matière de jeu vidéo ? Il y a notre expérience personnelle mais on a vu qu’elle était subjective et plutôt restrictive. Etant de la génération qui a grandi en même temps que les jeux vidéo je ne peux pas compter sur mes parents pour me forger mon goût, les trentenaire d’aujourd’hui eux peuvent et pourront transmettre un goût en matière de jeu vidéo à leur enfant mais pour nous ? Si on ne peut pas compter sur nos proches ont peut s’en remettre aux écrits. Mais les écrits en matière de jeu vidéo relève à 90 % - et peut être même plus - de choses commerciales et d’écrits qui se déresponsabilisent en se cachant derrière une forme d’objectivité technique et technologique ; le fameux test qui établi son jugement d’après l’analyse fractionnées de différents élément référence à la technique ; graphisme, animation, son, le game play, etc. comme si un jeu se résumait à la somme de ses éléments. Est-ce que cela aide à forger son goût ? A mon sens non parce que le goût ne relève de l’objectivité et de la rationalité. C’est pour ça que je trouve qu’aujourd’hui la majeure partie de la production de sens autour du jeu vidéo est stérile, trop de sites et de blog se contentent de cette approche mécanique. Pour les sites ce n’est pas grave, leur travail est nécessaire par contre je trouve décevant que tant de blogueur claquent leur production sur le modèles de ces sites et moins sur le partage d’une passion. J’ai l’impression qu’en relayant les trailer, les communiqués de presse, le tests, les news et les plans de communication de la façon « objective » qui caractérise la majorité des blogs et sites français ces gens là formatent le goût d’une génération. Au lieu de donner les clefs de compréhension, le pré requis culturel nécessaire pour apprécier un jeu - l’exemple du jeu Alice retour au pays de la folie est assez parlant je trouve, si on ne connait pas l’œuvre originale ni la vie de son auteur je crois que l’on peut passer à coté de certains points forts du jeu, au lieu de donner quelques pistes d’analyse ou quelques d’informations sur les rapport ambiguë de Lewis Carroll et de la petite Alice Liddell beaucoup de tests se sont contentés de dire que le moteur graphique était vieillot, que la maniabilité du triple saut étant bancale ou que la caméra comme dans beaucoup de jeu est mal gérée -. Si on n’éduque pas le goût des joueurs que l’on ne vienne pas ensuite s’étonner du manque de diversité des jeux à succès, si on laisse les communicant et le marketing forger le goût de la majorité des nouveaux joueurs ne nous étonnons pas de retrouver toujours les mêmes jeux dans les boutiques d’occasions. Nous autre les primo gamer nous avons défriché le jeu vidéo en matière de goût, nous n’avions personne pour nous aider à forger notre goût mais aujourd’hui nous pouvons transmettre nos valeurs et nos goûts. Bien sûr que le goût est une question personnelle, bien sûr que le goût est subjectif et qu’il y en a pour tous les goûts mais si on laisse le marketing dicter la nature du goût alors on appauvri la diversité des goûts. Il n’y a pas que les bons jeux dans la vie, il y a tous les ces jeux entre le moyens et le mauvais, ces séries B, ces suites moins bonnes que l’originale, ces genres sous estimés, il y a beaucoup de jeux qui attendent qu’on les aime. C’est à nous les passionnés de transmettre les éléments nécessaires pour que les autres puissent apprendre à les aimer.

 

Ne laissons pas le goût aux mains du système, le laissons pas le goût aux mains d’une forme de fatalité divine, ne laissons pas le goût à nos déterminismes culturels. On peut, en rencontrant des gens qui savent partager, être amener à découvrir autre chose, on peut apprendre à aimer autre chose. Bien sûr ce n'est pas une obligation ni même une nécessité, on peut être bien resté avec nos goûts de départ sans avoir besoin de les forger ou d'explorer d'autre goûts qui nous sont étrangers pour prendre plaisir. C’est une liberté. Moi j’aime de plus en plus de jeux mineurs et j’espère que je saurai vous donner à certain le goût de ces jeux là. Encore merci à aquab0n pour son article qui m’a permit d’écrire celui là.

 

PS : je préfère les bananes

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