Mercredi 07 mars Journey sort enfin sur le PSN

Journey vient de sortir sur le PSN pour les abonnés Playstation +. N’écoutant que la fougue impétueuse que des mois de mystères ésotérico-ludiques ont fait enfler, je dépense les 12€99 réglementaires pour me procurer le jeu. Il faut dire que le jeu de thatgamecompany fait parti des titres attendus depuis plusieurs mois ; la communication parcimonieuse et lapidaire autour de ce projet a réussi à attiser la curiosité du gamer qui habite en moi - en colocation avec l’auteur, le paresseux, le con, le supporter, le philosophe, l’hédoniste et ceux qui ont refusé de se faire lister -. Il faut dire que fort d'un succès inattendu et peut-être immérité, mais nous en discuterons une autre fois, avec le très [insolite aka imposteur] Flower les développeurs de thatgamecompany ont été propulsés fer de lance des jeux indépendant à tendance poétique. Et si mon avis reste mitigé vis-à-vis de Flowers et du principe même de jeu indé, je ne vais pas me détourner d'un titre qui semble pétrit de bonnes intentions et d'un univers esthétique séduisant.

 

J'ai donc téléchargé Journey cet après-midi, sur le PSN, j'ai ensuite eu le temps de faire d’autres choses, comme manger une pizza puis regarder du foot à la télé en trainant mon inactivité sur Twitter et après avoir vu Lyon perdre à la séance de tirs aux buts je me suis enfin mis sur Journey. Et là, il est quasiment trois heures du matin et j'ai déjà fini le jeu deux fois. Oui, deux fois. Ce qui signifie deux choses ; premièrement le jeu est très court et deuxièmement le jeu est excellent et se laisse rejouer facilement. Oui, Journey est très court, c’est le genre de jeu qui se termine en moins de deux heures. C'est sûrement là le défaut qui fera hurler le plus de personne, mais je m'en fouts parce que Journey est un jeu excellent.

 

Une esthétique de l'épure

Journey est un jeu très simple d'ailleurs si le jeu est si court, c'est qu'il n'y a pas à proprement parler de challenge vidéoludique. Journey est un jeu qui se parcourt et à travers ce parcourt Journey est un jeu qui se ressent. Comme une promenade dans la forêt, sans but ni intérêt, comme une errance, comme une liberté en mouvement comme une respiration. L'histoire, puisqu’il en faut une pour rassurer le joueur, c'est celle d'un parcours initiatique. Le jeu débute dans un désert et se termine dans la montagne et entre ces deux lieux notre énigmatique personnage va traverser des paysages, parfois déclencher des mécanismes et récolter des étoles. L'histoire est simple, il n'y aura pas de twist bizarre, pas de parole non plus, juste un cheminement, de la musique et quelques dessins. Le game play lui aussi fait dans l'épure ; on marche, on glisse dans les dunes, on saute et on appelle voilà tout. En récoltant des étoles, on rallonge notre écharpe et plus cette écharpe est longue plus, il est possible de planer longtemps dans les airs. Rien de plus, rien de moins, pas de violence, pas de barre de vie - bien que l'écharpe joue ce rôle d’indicateur -, le stick analogique gauche pour se déplacer et la sixaxis pour déplacer le caméra, mais le faire au stick droit est plus simple.

 

Si parfois l'épure peut faire redouter au joueur une forme d'ascétisme spartiate et rigoureux dans Journey, ce n'est pas le cas. Le jeu est d'une grande douceur. On commence dans un désert de sable, des dunes et la douceur d'un soleil déclinant, on finira dans la neige, on passera par d'autres environnements, mais à chaque fois, il est question de fluidité dans le contexte exploré. On ressent la difficulté du personnage à grimper la dune, puis on éprouve l'enivrante légèreté de la descendre cette dune; la physique des reliefs et des fluides est omniprésente dans le jeu même si chaque niveau parvient à dessiner une identité qui lui est propre. Courir dans les dunes, planer dans les airs, louvoyer dans les ondes aquatiques, cette douceur délicieuse de game play fait partie des gènes de Journey et confère à lui donner une personnalité étonnante dont on sent la forte filiation avec Flower.

Tout commence dans la chaleur d'un désert dans Journey

Tout commence dans la chaleur d'un désert dans Journey

De Flower à Journey

Le sable, la neige, l'eau et bien sûr l'air - à noter que l'air et le vent sont des composantes très différentes dans ce jeu - à n'en pas douter Journey est un jeu élémentaire, un jeu des grandeurs de la nature. Cette même nature qui est au cœur de Flower. Mais si là où la dimension flower power tendance hippie écolo de Flower qui propose au joueur de purifier un territoire par le pouvoir des fleurs, Journey à un propos plus sombre ; le game design est construit autour de ruines, de mécanismes intrigants d'une civilisation à priori détruite et oublié dont notre héros est peut-être un des rares survivants. La nature à donc, symboliquement, gagner la partie face à l'urbain. Cette nature, c'est un désert, une nature stérile, un glacier lui aussi stérile et même hostile ou d'inquiétantes grottes peu propices à la fougue végétale. D'ailleurs si les éléments naturels sont au cœur du jeu, la nature comme faune et flore florissante y est absente. Ce qui pourrait s'apparenter à de la végétation est en réalité ce que j'appelle des étoles ; des bouts de tissu, parfois petits, parfois plus grand qui ressemblent à des algues, des lianes, parfois des fleurs ou des méduses. C’est comme si dans cet univers poétique post apocalypse la trame de la survie humaine - même si je doute que le personnage soit humain - était inscrite dans une chose confectionnée par l'homme et non par la nature.

 

Si les enjeux mystico animiste de Flower ne sont plus présents dans ce jeu, le fait de jouer avec les éléments naturels est toujours au cœur du game play dans un héritage direct et flagrant avec Flower. Journey a gardé l'aspect le plus intéressant de son aîné, l'empathie que l'on peut avoir à flirter avec la nature, et par chance il évite aussi d’emprunter les mauvaises idées de son ancêtre ; on incarne un véritable personnage. Est-ce pour s'affirmer vis-à-vis de Flower que dans Journey le vent - qui est le souffle vital dans Flower - est devenu ennemi et obstacle menaçant pour le joueur ? Peut-être, peut-être aussi que ce n'est qu'un hasard, mais je trouve cela trop gros pour que ce soit le cas.

Seul comme à deux, c'est l'expérience du voyage, d'une nature belle et hostile

Seul comme à deux, c'est l'expérience du voyage, d'une nature belle et hostile

Journey à l'épreuve du temps

Je disais que le jeu est très court, et même odieusement court ; ça faible durée de vie pourrait être une insulte aux joueurs qui peuvent penser que ce jeu les prend pour des cons. Pourtant, selon moi, Journey est un bijou, la pureté de sa proposition vidéoludique est bluffante. Et la petitesse du jeu participe à la concentration de ses qualités. La première fois, on fait le jeu et on est - je l'espère pour vous - émerveillé par la direction artistique, enchanté par la musique et hypnotisé par ce game play entre précision et souplesse. Et sans s'en rendre compte, le jeu s'insinue en nous parce que cette direction artistique n'est pas là juste pour faire beau, juste pour faire arty et faire bander le gamer moyen qui croira tenir là son expérience poétique de l'année. Non, cette direction artistique est au service d'une narration, d’une histoire sans mots que l'on pourrait croire sans queue ni tête mais pleine d'émotion. Un petit conte philosophique qui a l'allure simple de la fable, dont le sens plus profond s'insinue à l'insu de notre conscience. Vous savez comme ces contes que l'on vous lisiez quand vous étiez enfants - ou que vous lisez à vos enfants - et dont vous ne vous lassiez pas. La force de cette narration, c’est qu’elle s’appuie sur les émotions pour éveiller nos sensations et nos sentiments. À partir de là, c’est l’imagination qui prend le relais et porte le joueur. C’est pour cela que l’on peut recommencer le jeu immédiatement et tant que l’on veut, parce que l’on ne revient pas pour le jeu intrinsèque, pour son game play ou son level design, mais parce que l’on revient pour l’émotion que l’on trouve dans cette expérience. J'ai la conviction que Journey possède exactement les mêmes propriétés que ce conte dont je vous parle.

 

C'est un jeu et un conte initiatique, il est donc logique que le duo personnage et joueur ne réalise pas tout de suite ce qu’il est entrain de traverser. Pourtant la chose est là ; cette inquiétante étrangeté freudienne est bien là. Elle vous explose au visage quand vous croisez un autre personnage dans Journey. Au départ, vous êtes seul, perdu, dans ce désert avec en point de mire cette lointaine montagne ; vous êtes seul comme on est seul dans la vie, à la naissance, seul dans le monde avec son incapacité à traduire à autrui notre essence intérieure. Sur ce point le jeu m’a bluffé justement. À un moment, il se peut que vous rencontriez un autre personnage. Il est physiquement comme vous, mais il n'est pas vous. Journey est un jeu qui se joue en Solo mais avec la présence d'un second joueur. En effet dans la solitude des paysages, on peut rencontrer un autre joueur parcourant, lui aussi le niveau. On ne sait rien de lui et on ne sera rien - à part son pseudonyme si vous terminez le jeu, ce qui n'est pas bien dur -, on peut seulement essayer de communiquer avec lui en l'appelant. Votre personnage fera un son plus ou moins fort, l'autre peut faire le même son, c'est tout. Ce second joueur, vous pouvez décider de le suivre ou bien décider de le perdre, cela n'influe pas sur le jeu. Il est juste là, l'Unheimliche, l'élément familier qui devient étrange ; quoi de plus familier qu'un personnage de jeu vidéo pour un joueur, quoi de plus banal qu'un avatar dans un jeu, mais quoi de plus étrange que cet autre moi qui est comme moi, mais qui n'est pas moi, qui joue comme moi mais que je ne contrôle pas, ce moi qui devient étrange, qui m’attend ou qui me fuit. Et surtout cet autre moi avec qui je ne peux pas communiquer. Pour moi ce détail donne à Journey une dimension fascinante et en quelque sorte offre une rejouabilitée nouvelle ; j'ai refait le jeu immédiatement après l'avoir fini pour retrouver ce sentiment étrange.

 

Journey et au-delà

Je viens de vous parler de Journey et j'espère que je vous ai donné envie d'y jouer, je voudrais vous avoir donné envie de l'aimer, mais c'est chose plus difficile parce que je sais que ce jeu est un petit peu radical et les jeux radicaux déroutent certains joueurs. Je vous ai dit en quelques mots qui cherchaient à être objectifs ce que peut être le jeu. Mais en y jouant j'ai vu mille choses, jouer à Journey à connecté en moi des référence différentes ; j'y ai vu Tintin, Mad Max, Les milles et une nuits, le mythe de Sisyphe, Sauron, Freud - d'ailleurs c'est amusant de voir lorsque Freud formalise le concept de Unheimliche c'est à partir d'une nouvelle L'Homme au sable et justement Journey est plein de sable ... - Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, les films de Michel Ocelot surtout Azur et Asmar, SSX, From Dust, un orgasme, un spermatozoïde et une éjaculation, Donjon et Dragon, Rauschenberg, Malevitch et The Fountain. Et encore c'est simplement ce qui m'est venu en y jouant à chaud. Je suis sûr que demain je trouverai encore des ponts avec d'autres éléments étonnant. D’ailleurs si jamais toi lecture, tu joues à Journey, j’aimerais que tu me dises les ponts que ce jeu a connectés avec ton expérience personnelle. C'est la force de ce petit bijou, une œuvre aux allures minuscules, mais qui emporte le joueur dans un souffle intense, une expérience de jeu que j'ai trouvée bouleversante.

 

Je sais bien que Journey ne fera pas l'unanimité, je pense que l’on fustigera son manque de challenge, mais j'espère vraiment que vous ne passerez pas à côté de ce jeu parce qu'à mon sens Journey permet d'envisager le jeu vidéo à l'aube d'un jour nouveau

Journey un jeu de où l'on est sans cesse confronté à un sentiment d'étrangeté.
Journey un jeu de où l'on est sans cesse confronté à un sentiment d'étrangeté.

Journey un jeu de où l'on est sans cesse confronté à un sentiment d'étrangeté.

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