Comme un refrain bien connu je suis un joueur qui arrive tout droit de la préhistoire vidéoludique. Et si c'est un fait aussi banal que déjà éculé, partagé avec tous ceux de ma génération - et déjà évoqué en avant propos de ce blog -, je le trouve signifiant et même plutôt poétique. Je sais aussi que certains joueurs plus jeunes ne réalisent pas nécessairement ce que ça implique d'avoir découvert les jeux vidéo à l'époque où l'adversaire / partenaire - humain - ne pouvait se trouver ailleurs qu'au bout du padde inséré dans le port 2 de la console. Surtout que j'étais un joueur exclusivement de console qui ne savait rien des joies et des affres du réseau.

En un sens on jouait en vase clos, certes avec des amis mais sans pouvoir s'ouvrir à d'autres joueurs. Dans ce vase clos du face à face, notre imaginaire - en tout cas le mien - construisait des mythes qui généraient des rêves de gamer et parmi eux il y avait l'idée de pouvoir affronter un joueur japonais. Pour l'amateur de jeux vidéo, et surtout le joueur de Street Fighter II - celui sur Super Nintendo acheté en import 900 Frs avec le gros adaptateur -, le joueur japonais est un peu ce que le footballeur brésilien est pour l'amateur de football ; un mythe de l'excellence, un joueur expert baignant dans la quintessence de cet univers de jeux vidéo. L'idée en elle-même d'affronter un japonais pour se mesurer à sa valeur n'était qu'un pur fantasme - surtout j'avais déjà du mal à battre mes amis donc je ne me faisais aucune illusions sur mes aptitudes à manier suffisamment bien Guile pour battre un joueur japonais - mais caresser l'idée de jouer avec lui me donnait la sensation d’appartenir à cette réalité mythologique du jeu vidéo.

Ce drôle de fantasme était aussi une manière de représenter ce que pouvait être l'apogée de cette passion que j'avais pour les jeux vidéo. Je croyais que de partager le même instant de jeu avec ce qui était le modèle référent, l'otaku amateur de salle d'arcade et expert en jeu vidéo depuis sa tendre enfance, me donnerait une sensation d'aboutissement de ma passion et que je pourrais dire : "j'ai réussi" - sauf que je ne savais pas ce que j'aurais réussi -. Je reconnais que ça ne veut pas dire grand chose, surtout que maintenant à l'époque des jeux sociaux, des jeux en réseau, des MMO, etc. Aujourd'hui l'adversaire humain est partout, il vient de partout et rien n'est plus banal que d'affronter des gamer du monde entier. Ayant commencé à jouer jeune, j'ai eu le temps de m'imprégner de cette sacralisation du joueur japonais avant d'en affronter un pour la première fois.

Cette première fois a eu lieu sur la DS - il n'y a donc pas si longtemps - sur le jeu Mario Kart. J'étais avec un ami et on avait passé une bonne partie de la soirée à essayer de connecter ma DS à ma Livebox. On allait enfin pouvoir affronter un adversaire humain se trouvant quelque part dans le monde. La console a cherché un long moment un adversaire et le hasard - ou l'horaire tardive - a voulu que l'on tombe sur un japonais. Pour la première fois - non sans un certain frisson - j'allais pouvoir affronter un japonais dans un jeu vidéo. L'histoire retiendra que j'ai vu son kart quelques secondes avant qu'il ne me distance avec une certaine insolence. Et les courses suivantes n'ont pas connu plus de réussite de ma part ; fidèle à l'idée que je m'en fais, le joueur japonais était bien meilleur que moi - et pourtant je me défendais bien sur Mario Kart, enfin le croyais-je - et ces défaites correspondaient bien à ce que j'avais imaginais.

Mais pour en revenir au titre de cet article, il y a bien eu un jour où j'ai battu un joueur japonais. Et comme le hasard est parfois assez beau, c'est arrivé sur Super Street Fighter IV et je jouais ce jour là avec Guile - que je joue depuis tout ce temps, à croire que j'ai fini par m'améliorer -. Ce n'était pas le premier japonais que j'affrontais et tous les autres m'avaient battu, mais celui-ci a perdu, il a perdu contre moi. Et même si ça peu paraitre con, j'étais ému, oui ému de gagner. Et je me fous de savoir si derrière cet identifiant japonais il y avait un gamin de 8 ans ou un expert de versus figthing, je peux enfin le dire, j'ai battu un joueur japonais. Il m'aura fallu plus de 15 ans entre le moment où l'idée d'affronter un joueur japonais - et la signification que j'ai donné à cela - m'est venue et le moment où j'ai battu un joueur japonais, mais sincèrement ça fallait le coup d'attendre, ne serai-ce parce qu'en écrivant cet article, j'ai une véritable émotion qui me serre la gorge et cette émotion-là me fait plaisir.

Guile celui sans qui je n'aurai jamais pu battre mon premier japonais, Guile le mentor de mon dépucelage en terme de victoire face à l'otaku

Guile celui sans qui je n'aurai jamais pu battre mon premier japonais, Guile le mentor de mon dépucelage en terme de victoire face à l'otaku

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