Retro City Rampage : la grande imposture
25 janv. 2013Je suis de plus en plus convaincu que le seul véritable talent des génies - et de ceux que l’on appelle les grands hommes - c’est l’imposture ; et tout particulièrement dans le domaine de la création artistique. Si cette théorie selon laquelle le génie se mesure à la taille de l’imposture est vraie, alors Retro City Rampage est un jeu de génie !
Retro City Rampage est un GTA-like parodique hyper low fi rendant hommage à l’univers 8-bits et à l’ensemble de la culture geek - vers son infini et au delà - disponible sur tous les supports où l’on peut télécharger du jeu vidéo de Steam au PSN en passant par le WiiWare. Le jeu nous offre d’incarner Player un petit truand opérant à Theftropolis City une ville ouverte avec son lot de véhicules à voler, de piétons à écraser, de flics à buter, d’objets à dérober et de jobs annexes à la con à endosser ; bref ça ressemble à un GTA que l’on aurai fait rentrer de force dans une Master System.
Mais l’intérêt du jeu n’est pas là. Le véritable intérêt de ce jeu réside dans son ambition obsessionnelle de citer tous les jeux / films / séries /technologies pouvant servir de matrice à la culture geek. Derrière ce jeu, ou devant lui plutôt parce que la démarche vient recouvrir / cacher la faiblesse du fond de jeu, on trouve le plus dément, le plus absurde, le plus vaste, le plus délirant, le plus étonnant empilement de références geek qu’un jeu vidéo ai connu jusqu’à présent. Exercice idiot et fascinant de citation d’une sous-culture au sein d’un objet appartenant lui-même à cette sous-culture. Et je dis bien empilement parce qu’il ne s’agit pas d’autre chose ; les références / citations / hommages / clins d’œil arrivent et disparaissent les uns à la suite des autres sans réel impact ou intérêt sur le jeu.
C’est là que réside l’imposture du jeu.
C’est là que réside le génie du jeu.
D’une certaine manière Retro City Rampage pourrait être considéré comme Oujevipo pour Ouvroirs de Jeu Vidéo Potentiel dans la veine du mouvement “littéraire” Oulipo ; un jeu vidéo dont le concept reposerai uniquement sur l’accumulation des références à la culture geek. Et le plus fou c’est que cela fonctionne, chaque élément du jeu convoque une nouvelle référence, un son, un décor, un nom, un personnage, un gameplay, etc. la référence prévaut toujours sur le jeu ainsi que sur la référence précédente.
J’ai téléchargé la démo sans y croire, j’ai commencé à y jouer sans aimer, mais quand durant la démo / didacticiel j’ai croisé des références à Frogger, GTA, Super Mario, Retour vers le Futur, Duck Hunt, Dr Who, Metal Gear, Zelda, Choplifter - pour ne citer qu’eux - ça a été plus fort que moi j’ai eu besoin de voir jusqu’où ce jeu pouvait aller dans l’accumulation des citations et je l’ai acheté. Je n’ai pas été déçu, l’empilement de références continu, s’enchaîne, sans queue ni tête passant de Paper Boy à Super Meat Boy, de Sonic à K2000, convoquant des personnages et des situations connues le jeu n’en fini pas d’enfiler les références comme un enfant les pâtes sur un collier de fête des mères.
Pour un joueur de la vieille époque Retro City Rampage est objet hybride à mi-chemin entre le musée à ciel numérique ouvert, le parc d’attractions déglingué et une madeleine truffée de fruit confits. Par contre, je me demande ce que peut ressentir le jeune joueur. Si le vieux joueur pourra toujours s’amuser a débusquer les moindres références le jeune joueur passera à coté de ces nombreux référence et se retrouvera nez à nez avec un jeu vilain, bête et méchant avec ses graphismes horribles - surtout les sprites mon dieu ! J’espère que les jeunes joueurs ne vont pas prendre ce jeu au premier degré et se convaincre qu’à l’ère 8-bits nous jouions toujours avec des personnages qui ne ressemblaient à rien. Bien sûr il y a eu Pitfall mais il n’y a pas eu que cela ... - et son gameplay rustique.
Retro City Rampage est donc un jeu moche reposant sur un parti prit esthétique douteux qui choisi de puiser dans le pire de l’esthétique 8-bits. C’est un jeu bourré de défauts ; la ville ouverte est petite, la carte pour s’y déplacer est illisible, la traduction française est tellement odieuse que l’on se demande si ça a été fait volontairement, les missions sont rapidement redondantes, les sprites sont ridicules. Mais on a un jeu dont tout le génie et l’imposture tiennent dans l’idée de gaver ce jeu médiocre d’une avalanche de références à la culture geek. Cette imposture fonctionne sur le gamer nostalgique riche d’une sous-culture dont il aura l’impression qu’elle lui sert à quelque chose tant elle est sollicité par Retro City Rampage.
Payer plus de dix euros pour ce jeu c’est abuser de la faiblesse du joueur. A 9,99 ce jeu aurait été un Oujevipo magique, à 11,99 il donne la sensation de jouer les imposteurs jusqu’au bout. En même temps au prix de la place de cinéma - mètre étalon du coût de revient d’une heure de divertissement - ce jeu est rentable. Vous y jouerez au moins trois heures avant de vous lasser et plus si vous accrochez à son concept. Mais ça reste un jeu de niche à réserver aux joueurs trentenaires, aux fans de GTA, aux ayatollahs du retrogaming, aux amateurs de jeux concept, à ceux qui aiment conduire des rectangles de couleurs, aux élites néo-bobos qui privilégient la hype et le swag et qui définissent la tendance comme inversement proportionnel à la modernité, aux personnes qui consommes de la drogue en jouant aux jeux vidéo, à ceux qui aiment écraser des piétons pour ramasser de l’argent vert, aux nostalgiques, aux hardcores gamer, aux despotes du jeu indé, aux aveugles et bien sûr à tous les joueurs curieux.
Et pour ceux qui voudraient un jeu style rétro, absurde et délirant, rendant hommage à tous les personnages du jeu vidéo époque Nintendo 8 bits. Qui en plus est un jeu gratuit alors il y a le très drôle et très exigent Abobo’s Big Adventure directement sur ton navigateur !