J'ai connu mon aurore de joueur à l’aune de la Mattel intellivision ; j’étais gamin et cette console je ne l’avais pas choisie, elle était là et j’y jouais. Je plantais mon nez devant la télé nouvellement animée de ce frémissement vidéo ludique et je jouais. Je ne peux pas dire que j’ai été marqué par ces jeux là, au sens où aujourd’hui il n’y en a aucun auxquels je regrette de ne plus pouvoir jouer. Mais en écrivant cet article mon esprit s’ébranle et ce sont des souvenirs qui me remontent à la conscience, des sensations de jeux et des impressions plus générales presque génériques, des impressions hors jeu, immersion de joueur dans une époque qui a inscrit en moi les germes de mon devenir - avenir ? - de joueur.

Des détails tactiles comme la résistance de l'interrupteur marche / arrêt, le carton usé des boites des jeux ou ces manettes que je n’arrivais jamais à ranger correctement dans leurs logements sont autant de souvenirs qui ne sont pas de la nostalgie mais une forme d’archéologie intime qui dans le terreau parfois aride de ma mémoire exhume de l’oubli débris et des bribes de choses que je pensais ne jamais plus revivre définitivement enterrées dans le passé et l’oubli anodin, pas celui que l’on refoule mais celui que le présent recouvre sereinement.

Un jour j’écrirai ici dans la pure veine vidéo nostalgique une éloge des pionniers ; ces premiers jeux vidéo qui ont défriché le territoire vierge de mon innocence vidéo ludique me marquant moins et plus aux grès d’expériences enfantines étrangement proches des émotions devenues trop rares et que l’on cherche toujours - tous les joueurs et moi - dans nos jeux vidéo contemporains.

Mais aujourd’hui je vais parler d’autre chose en lien avec cette époque oui une autre chose, un à coté, une facette du jeu vidéo, plus précisément de la face graphique à la surface des boites de jeux. Cela peut sembler curieux mais c’est la première chose qui me revient quand je me penche sur la manne de mes souvenirs, une image en couverture d’un jeu de basket, une sorte d’aquarelle empreinte de mouvement et à l’esthétique improbable. C’est ce souvenir là qui fait vibrer ma corde sensible et parle à mes tripes plus qu’à tête ; oui le goût sucré de ma madeleine est imprimé sur le devant des boites de jeux de la Mattel Intellivision.

 

Mattel-intellivision-Basketball.jpg

 

Essayons de remettre les choses dans le contexte de l’époque pour mieux comprendre ce que pouvait ressentir un jeune joueur devant la boite d’un jeu. Pendant longtemps il y a eu une dichotomie immense entre la représentation qu’avaient les développeurs d’un jeu et la représentation que le jeu prenait dans l’écran de la télé. Les illustrations, les dessins, les peintures - oeuvres - qui ornaient les boites de jeux se trouvaient à l’intersection de ces deux univers.

 

Aussi cultes soient-ils, en tout cas avec tout le potentiel de jeux cultes qu’ils y avaient dans leur ADN vidéo ludique, les jeux de la Mattel Intellivion faisaient l’éternelle démonstration d’une pauvreté graphique remarquable et pas loin d’être affligeante. Je n’avais aucun point de comparaison et donc aucunes exigences en la matière, c’est pour cela que ça ne dérangeait donc pas le - jeune - joueur que j’étais. Pour autant ça ne m’empêchait pas d’avoir suffisamment d’esprit critique et de lucidité pour me rendre compte que visuellement les jeux tendaient plus vers l'abstraction géométrique que vers le photo réalisme. Avec les graphismes il y a aussi le gameplay qui souffrait des contraintes techniques de la console de Mattel réduisant les possibilités de mise en scène narrative à un espèce de minimum syndical : un déplacement et une action dans un décors lui même réduit à sa portion congrue.

 

C'était évident que l’écran ne relayait pas fidèlement l’univers dans lequel nous jouions - pas plus qu’un Monopoly représente visuellement l’urbanisme galopant mu par la folie du capitalisme - ; mais nous étions jeunes et donc naïfs et innocents ce que nous rendait très indulgents et absolument pas exigeants vis à vis des jeux vidéo. Nous jouions avec coeur et ce que nous ne voyions pas à l’écran nous le réinvestissions par l’imagination.

 

C'est dans ce contexte que l’illustration sur la jaquette du jeu prenait tout son sens. Elle fonctionnait comme une carte - au sens de plan, un GPS, carte au trésor - qui guidait l’imagination sur la - juste - route la menant vers l’univers du jeu en question. Avec seulement 16 couleurs affichables à l’écran pour la Mattel Intellivision il n’était pas simple de retranscrire la nature précise de l’univers dans lequel le jeu devait nous plonger. L’expérience sensible du jeu commençait donc avec cette illustration qui définissait les axes que l’imagination allait pouvoir suivre pour construire, approfondir et étayer son expérience du jeu. Tout simplement le dessin sur la boite nous disait à quoi on allait jouer bien plus clairement que la bouillie de pixels dans la télévision ne pouvait le faire.

 

Cette dichotomie visuelle entre ce que le jeu devait être et ce que le jeu était réellement a engendré une hiérarchie entre les graphisme des jeux Intellivision et les illustrations sur les boites de jeu. Évidemment à mon sens c’est l’illustration qui avait le beau rôle ; drapée dans la tradition culturelle des beaux arts, le dessin et la peinture, elle pouvait se prévaloir de ce qui est digne d’intérêt. Sa filiation culturelle avec l’art légitimait le fait que l’illustration ai le rôle dominant quand il était question de représenter un univers. A contrario le graphisme du jeu vidéo était inscrit au rang de ce qui est scientifique et donc avant tout fonctionnel. C’était d’une certaine façon logique qu’il ne cherche pas à être beau, son rôle c’était celui de l’interface permettant de se représenter une situation de jeu. D’ailleurs j’associe volontiers ces graphismes de l’époque à une esthétique austère et un peu abscons propre à l’idée que je me faisais de la représentation scientifique à base de graphiques et de courbes d’oscilloscope ; c’était pauvre, froid et plutôt moche mais pratique à l’opposé de ces illustrations que je trouvais charnues, chaudes et chargées d’une certaine richesse dans le mouvement et les détails que le graphisme vidéo ne pouvait pas représenter. Très clairement pour moi les jaquettes des jeux Intellivision dégageaient une esthétique indéniable.

 

Et puis il y a l’objet, boites de carton aux coins souvent abîmés mais imprégnées de la patine du temps. Pas une vulgaire patine d’usure qui détériore la forme esthétique originale mais une patine qui confère aux objets une aura sensitive confinant au sensuel tout simplement parce que l’objet est beau. Comme la patine du temps sur les fresques de Pompéi qui dévoilent failles, fissures et crevasses d’où émergent un supplément d’âme, de sens et d’histoire. Bien sûr cette plus value de signification prend tout son sens avec le temps et la maturité des perceptions que j’ai aujourd’hui et que je n’avais pas avant. Mais cette patine c’était aussi la trace des autres, comme un signe tangible de la filiation ; cette console on me l’avait donnée, comme un héritage, comme une responsabilité que l’on ressent devant le don d’une chose dont on s’éprend de la responsabilité, conserver les boites dans cet état d’usure sans y ajouter la sienne. Mais tout ceci n’est que pure divagation théorique et je doute qu’une once de ce discours m’ai effleuré avant des années. Mais une chose est vraie et donne à ces illustrations un charme étonnant bien que désuet c’est qu’elles ont figé dans l’image des bribes de la culture de l’époque. Dans la tenue des basketteurs, dans la couleur de peau des basketteurs pour ne reprendre qu’un exemple.

 

Je crois qu’il est temps de prendre un exemple pour donner à ce discours un corps plus palpable. Prenons donc Space Hawk sur Mattel Intellivision. C’est shoot them up dans lequel on incarne un astronaute perdu dans l’espace qui avec son pistolet laser qui doit survivre aux attaques des vaisseaux ennemis. Mais à l’écran voilà ce que cela donne :

space_hawk.png

 

Difficile de se projeter dans une aventure spatiale épique quand on a sous les yeux qu’un petit bonhomme bleu sur un fond noir attaqué par des ronds et des amas de pixels de couleur. Même si nous pourrions débattre au sujet de la représentation de la solitude de l’homme dans l’espace qui est finalement peut être bien mieux retranscrite ici que dans la richesse visuelle d’un jeu comme Mass Effect pour un enfant cet écran de jeu ne raconte pas beaucoup d’histoire. Maintenant prenons justement l’illustration sur la boite du jeu.

 

SpaceHawk.jpg

 

On retrouve tous les éléments du jeu, l'astronaute et l’espace, les vaisseaux et tout le reste mais dans une forme de représentation qui à mon sens permet de créer une ouverture sur un imaginaire plus riche et plus dense que celui présent à l’image dans ma télé. Ici le dessin ancre le jeu dans un esprit de science fiction - space opéra - facilement identifiable. L’image convoque des éléments de science fiction qui parlent au petit garçon que j’étais, pas besoin d’avoir vu Star Wars pour rêver de vaisseaux spatiaux et de combats aux lasers. Les jeux misaient sur des gameplay simples jamais sur l’immersion et la narration. Mais se construire des histoires est une chose naturelle propre au développement de l’enfant et finalement c’est au travers des illustrations que je parvenais le mieux à m’imprégner et me se construire une histoire. En regardant le dessin sur la boite du jeu je pouvais visualiser et la tête du pilote ou l’allure fuselé de mon vaisseau - certes sur l’exemple que j’ai pris le cosmonaute tourne la tête mais dans un jeu comme Space Battle on pouvait voir la tête du pilote - et l’imagination faisait le reste.

 

Les illustrations montraient un au-delà du jeu vidéo, elles montraient des images appartenant à l’univers du jeu mais ce qui était représenté se trouvait au delà de ce que le jeu était capable de montrer au joueur. Et à la manière d’un hors champ au cinéma la présence de l’illustration sur la jaquette convoquait l’imagination parce que sans elle on ne pouvait plus lier les deux types de représentations. Aujourd’hui avec nos machines capables de représenter la réalité et les créations imaginaires avec un degré de détails confinant au réalisme les illustrations sur les boites des jeux n’opèrent plus de la même logique, magie, beauté. Fini le dessin, la peinture et la transcendance propre à l’art, aujourd’hui on est dans le factuel, le marketing. Il n’est plus nécessaire de représenter un au delà du jeu parce que l’imagination ne rencontre plus aucunes barrière techniques pour s’exprimer.

 

Et si l’on veut trouver un au delà du jeu ; une expression graphique capable de transcender l’univers ludique par la force du trait et de l’illustration il faut regarder du coté des artwork, travaux - généralement préparatoire - qui ébauchent ce que va être l’univers d’un jeu d’une façon artistique à la manière des croquis et des ébauches que l’artiste va réaliser avant de se lancer dans son oeuvre. Ces artwork évoquent un au delà du jeu parce qu’ils sont les témoins d’un univers en construction qui nous dévoile ses balbutiements, ses espoirs et ses prétentions, le regard du joueur aguerri au jeu dont les artwork sont tirés pourra déceler dans la mise en scène, dans la forme et l’esthétique de certains personnages des différences notables avec le jeu preuve que le jeu existe en dehors du jeu, l’univers vidéo ludique se construit, évolue et vie au delà de ce que l’expérience ludique permet de le voir.

 

On peut parfois, au hasard qu’un coup de zèle de notre fièvre consommatrice, retrouver dans de le packaging des versions collector un artbook - livre d’art et de jeu - en plus du jeu. Est-ce là juste un acte marketing ou peut on voir dans la présence de ce livre croquis et dessin la présence dune porte supplémentaire vers un jeu et son au-delà du jeu offert au joueur. Et finalement mes boites de jeux Mattel Intellivision n’étaient-elles pas plus généreuses que les boites actuelles ? Plus généreuse parce que porteuse naturellement de cette porte supplémentaire ouverte et offerte aux joueurs. Le jeu vidéo est un média de représentation ; pas de jeu sans image, et si j’ai gardé si longtemps en tête et en coeur imprimé dans ma mémoire ces illustration sur les boites de jeux Intellivision c’est que mon expérience de joueur a commencé devant ces images et aujourd’hui encore ces images agissent, opèrent, fonctionnent sur mon esprit comme des portes. C’est vrai qu’à mes débuts ces portes ouvraient sur le futur et qu’aujourd’hui elles ouvrent sur le passé, c’est peut être simplement moi qui en ai franchi le seuil preuve que tout ceci est vrai, que tout ceci est juste, que tout ceci existe. Non je ne suis pas fou, pas plus que je ne suis nostalgique tout ceci n’est qu’un amour d’esthète qui aime les choses pour leurs objets et leurs concepts.

 

 

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