L’aube

Tout à débuté avec le magazine Club Nintendo, j’avais onze ou douze ans. Je lisais ça parce que j’avais une NES et que l’abonnement devait se trouver dans les publicités que l’on avait en achetant les jeux, neufs évidements, vous savez ce genre de détails qui font aujourd’hui s’envoler la côte d’un jeu rétro. Ce n’était pas de la littérature, ni même vraiment de la presse magazine, parce que le magazine du Club Nintendo relevait plutôt du goodies et pourtant je m’en rappelle suffisamment bien pour me souvenir encore aujourd’hui de sa mise en page très basique, rudimentaire et colorée. Je ne me souviens plus en revanche de ce que m’apportait vraiment ce magazine, mes parents étaient contents que je lise et moi j’étais content de lire « ça » plutôt que de vrais livres. Il n’y avait ni tests ni critiques dans ces pages, en même temps pouvions-nous l’envisager de la part d’un objet publicitaire ? En tout cas je ne me posais pas la question et je lisais cela comme je pouvais lire Le Journal de Mickey, Picsou Magazine ou n’importe quel autre périodique de l’époque. J’imagine que je ne cherchais qu’à prolonger le divertissement que me procuraient les jeux vidéo et pas à m’informer sur eux ; c’était un vase clos, je jouais à la NES et je lisais un magazine sur les jeux NES, le reste du monde n’existait pas.

Bien sûr je caricature pour forcer l’image littéraire, j’avais joué avant le NES et j’avais un ami qui possédait une Master System …

Paradoxalement si je m’en réfère à mes souvenirs croisés avec le jugement global de la culture geek contemporaine, j’ai eu sur la NES certainement le meilleur ratio de titres cultes dans ma ludothèque en comparaison à toutes les autres ludothèques que j’ai pu avoir après sur différentes consoles ; Super Mario, Super Mario 2, Zelda, Metroid, Metal Gear, The Adventure of Link, Castelvania et quasiment pas ou très peu d’autres jeux. Je ne sais pas où ni comment mes parents ont choisi les jeux qu’ils m’offraient mais ils tapaient dans le mille à tous les coups. À cette époque et à cet âge, l’enfant de 11 ans que j’étais n’étais pas prescripteur d’achat, c’est peut-être pour cela que je n’avais pas besoin de m’informer mais cela ne m’empêchait pas de tomber petit à petit en grand intérêt pour les jeux vidéo.

Vadu Akma's Project

Vadu Akma's Project

Le printemps

Après cette période qui a dû se terminer avec la fin du Club Nintendo, il y en a eu une autre, celle qui a débuté avec la naissance de la presse jeux vidéo console. J’étais au collège, époque où je passais de la NES à la Megardive puis de la Megadrive à la Super Nintendo. C’est une époque où j’ai commencé à dévorer la presse spécialisée, une époque où j’ai commencé à passer de plus en plus de temps aux toilettes parce que le trône est le lieu principal où un garçon s’adonne à la lecture. Player One, Console +, Joypad, je suivais ces lignées depuis leurs premiers numéros. Déjà cela me faisait lire au-delà de mon horizon ludique, d’une part parce que je commençais à avoir eu différentes consoles et donc plusieurs intérêts pour différents constructeurs, mais d’autres part parce que cette presse-là parlait plus ou moins de toute la sphère jeux vidéo, depuis les consoles grand public très répandues à d’autres machines plus exotiques moins courantes.  Sans même en avoir conscience, ces lectures avides posaient en moi les bases d’une culture vidéoludique. C’est aussi à ce moment-là que je découvrais les tests de jeux. Il serait excessif de parler de littérature critique, les rédacteurs de l’époque se contentaient souvent d’exposer leurs avis pas toujours très argumentés mais c’était déjà ça, c’était déjà là aussi les fondements d’une culture vidéoludique.

Cette période où je lisais beaucoup de tests de jeux recoupe celle où j’ai été très influencé par cette presse-là dans le choix des jeux et des consoles que je voulais avoir. Mes parents étaient encore ceux qui achetaient les jeux mais je pouvais demander tel jeu plutôt que tel jeu. Sans l’effet d’influence des magazines je n’aurai sans doute pas découvert si tôt Street Fighter II en import pour ma Super Nintendo et son adaptateur. Même s’il y avait en ferment les bases d’une culture vidéoludique, cette presse d’influence n’était pas encore pour moi une presse d’information justement l’influence prédominante sur la construction objective d’une information. Bien sûr je me souviens qu’avec mes amis du collège nous apprenions par cœur les caractéristiques techniques données par la presse de telle ou telle machine et que nous refaisions à la récréation la guerre des consoles. Mais dans le fond nous ne faisions que singer ce que nous lisions, il n’y avait pas de vrais argumentaires, c’était juste la loi de celui qui criait le plus fort. Il n’y avait pas d’influenceurs à la fin du XXème siècle, seulement quelques magazines pour orienter les goûts et les envies d’une communauté de joueurs grandissantes.

L’orage

Pourtant cette période où j’étais très influencé par ce que je lisais n’a pas durée si longtemps ; elle a durée jusqu’au jour où j’ai acheté un jeu avant d’en lire le test dans un magazine. C’était un jeu de catch que j’avais voulu avoir parce que je trouvais la jaquette cool et qu’un jeu de catch devait forcément faire un bon jeu de baston … Je m’amusais globalement très bien avec ce jeu jusqu’à ce que quelques semaines ou mois plus tard j’en lise un test très médiocre. C’était bizarre parce que j’aimais jouer à ce jeu, j’aimais aussi lire des magazines de jeux vidéo et je n’avais pas imaginé que les deux pratiques puissent se télescoper avec des effets négatifs pour moi. Lire dans un test que le jeu auquel je jouais était mauvais avait été une expérience assez humiliante parce que cela me révélait que j’avais mauvais goût et en plus que j’avais gaspillé mon argent. Mais d’un autre côté, le plaisir que je prenais à jouer à ce jeu était réel et il remettait en question la légitimité de l’avis négatif des magazines et par extension le plaisir que je pouvais éprouver d’appartenir à cette communauté de goûts.

Ce n’était rien, qu’une minuscule goutte d’eau dans l’océan du relativisme de la vie, mais dans la tête d’un collégien cette expérience a eu un véritable impact. D’une manière ou d’une autre c’est à ce moment que j’ai eu l’intuition d’une théorie critique du jeu vidéo qui s’opposerait à l’expression commerciale ou l’expression d’un avis. Ce n’était qu’une sensation, qu’une intuition mais la graine de la critique germait déjà en moi.

Flânerie et souvenirs de thérotique critique et de soi

L’âge de l’encre

Cela ne m’a pas arrêté dans ma consommation de magazine de jeux vidéo, j’apprenais petit à petit à pondérer les avis, à connaître les grilles de lectures critiques de tel ou tel testeur, je lisais et je commençais à réfléchir. J’ai été lecteur de Player One, Console + et Joypad tout au long de la génération Super Nintendo. Lorsque la génération Playstation est arrivée, j’ai continué d’être lecteur de la presse de jeux vidéo mais un lecteur infidèle ; je n’avais d’allégeance pour aucuns titres en particulier, plus aucun abonnement non plus.

C’était le lycée, et si je suivais une filière scientifique tout à fait banale, un bon ami à moi suivait une filière littéraire option cinéma. C’est lui qui m’a permis de découvrir un pan important de ma culture cinématographique, il m’a surtout permis de formaliser mes véritables premiers pas dans la théorie critique, par la critique de cinéma, la découverte des Cahiers du Cinéma et autre cinéma de mauvais genre façon Mad Movies. Et c’est à ce point-là de mon histoire que je voulais arriver lorsque j’ai commencé à rédiger cet article. Parce que c’est à ce moment-là de ma vie, vers la fin des années 90, je dirais 1995 /1996, que j’ai eu pour la première fois envie d’écrire sur le jeu vidéo. Une écriture critique évidemment, pas romanesque ni documentaire. Nos discussions et le bouillonnement intellectuel que l’on peut éprouver lorsque l’on découvre des outils intellectuels nouveaux entraient en collision avec la génération Playstation qui se voulait plus mature et avec peut-être dix ans d’expérience de gamer. Cela nous donnait envie d’écrire, d’explorer, d’analyser, de partager nos regards ambitieux sur le jeu vidéo. Et plus cela montait en nous et moins nous lisions la presse spécialisée qui ne nous convenait plus.

Mais dans ce monde d’avant internet il n’était pas facile de projeter nos ambitions de plumes, cela ne nous empêchait pas d’échafauder les plans d’un fanzine pour lequel nous esquissons quelques brouillons d’articles mais rien qui ne passe au stade d’un semblant de distribution. Cet élan littéraire à été stoppé de manière assez paradoxale, puisque c’est lorsque j’ai eu l’opportunité d’ouvrir ma boutique de jeux vidéo que j’ai plus ou moins cessé de caresser l’espoir d’une prose critique capable de façonner et de formaliser ce que j’envisageais comme les premiers pans d’une culture vidéoludique sérieuse. D’une part tenir une boutique à la frontière du XXème et du XXIème siècle quand on a zéro expérience est une activité très énergivore, mais d’autre part en tenant cette boutique j’avais espoir de parvenir à façonner cette culture vidéoludique que je pressentais exister d’une autre manière. Cela à duré quelques années, époque PS1, Dreamcast, Saturn, N64, Pokémon, PS2, Xbox, etc. et lorsque j’ai fermé cette boutique parce que j’étais usé et lassé parce que je n’avais ni l’âme ni l’expérience d’un commerçant, j’ai tourné la page. Une page de ma vie, une page que j’ai tourné avec les jeux vidéo aussi, ainsi pendant quelques années j’ai eu un rapport très lointain avec ce média, ne lisant plus la presse spécialisée, ne jouant quasiment plus du tout et n’ayant qu’un regard lointain sur les évolutions, les nouveautés, la hype et la montée d’internet.

Le temps de moissons

Ainsi est faite la vie, pleine de variations volontaires ou subis qui toujours nous façonne et je reprends le fil de ce texte quelques années après lorsque je reprends aussi le fil de mes études à l’université jusqu’à un Master d'Études Culturelles. Cette fois j’étais près, j’avais les outils intellectuels, l’expérience, le goût mais surtout les outils numériques pour écrire et partager les pensées. J’avais aussi beaucoup d’ambition, sûrement aussi beaucoup de prétention, et dans les deux cas beaucoup de pression que je mettais sur les épaules et sur mes mots. Si je ne me trompe pas j’ai débuté sur Gameblog, voir même encore avant sur je ne sais plus quels forums dédiés aux jeux vidéo, puis j’ai atterri ici en février 2011, une éternité. Je crois que je n’ai jamais réussi à être un grand blogueur, ni même un véritable blogueur en quête de likes, de coms et de partenariats. Je manquais de confiance en moi pour mener à bien de campagne de « personal branding » ; en plus je croyais à la force des idées et à l’émulation qu’aurait pu être la sphère internet à cette époque. Et puis je n’ai jamais été doué pour fédérer puis animer une communauté, je suis numériquement un solitaire. En plus comme je me mettais une certaine pression quand à mes écrits, je manquais aussi de régularité, ne voulant critiquer un jeu qu’après l’avoir terminé, ou plus difficile encore ne voulant critiquer un jeu que si j’avais la sensation que ma pensée pouvait apporter quelque chose d’utile et de pertinent qui n’est pas été dit avant ou dit mieux par quelqu’un d’autre. Et puis on je ne vais pas me cacher, je suis aussi un grand procrastinateur devant l’éternel et je reste convaincu que mes meilleurs articles critiques ou théoriques sont ceux qui j’ai rédigé un million de fois dans ma tête lorsque j’étais en voiture ou sous la douche et que je n’ai jamais pris la peine de rédiger. D’ailleurs un jour à contre temps de toutes logiques je rédigerai ma critique de Enslaved sur PS3 parce que c’est un jeu qui m’a profondément marqué et dont j’ai rédigé une infinité de version dans ma tête.

Mais je ne regrette rien, parfois il m’arrive de relire d’anciens articles, de vieilles critiques, et si je ne peux m'empêcher de les peaufiner ou de les corriger parce que j’ai toujours été une buse en orthographe, en les lisant je ne trouve rien de honteux. Ce que je réalise aujourd’hui c’est que le seul intérêt de mes chroniques ne réside pas leur plus-value intellectuelle ou leur éclairage critique, car la vraie qualité que je leur trouve se trouve dans cette forme de rétrospection légèrement mélancolique et littéraire par laquelle je remonte sans cesse le fil de ma vie. Après plusieurs jours de brainstorming solitaire mais intense j’avais décidé d’appeler ce blog Mémoire d’un joueur. J’avais pourtant une ambition critique et littéraire pourtant, je ne sais pas pourquoi mais je m’étais arrêté sur ce titre. Et au final c’est ce que ce blog m’a le mieux permis d’explorer et de partager, mes souvenirs de joueurs mais au-delà mes souvenirs d’homme, d’individus. C’est peut-être pour ce qui explique pourquoi je rédige souvent des articles fleuves, verbeux, qui coulent le long de mon histoire et sur lesquels je laisse naviguer des réflexions.

Le siècle des images

J’ai entretenu ce blog plus ou moins jusqu’en 2019 date à laquelle j’ai publié mes dernières critiques de films et séries. Mais je n’ai jamais voulu le clôturer ou le supprimer parce que je savais que j’y reviendrai.  Entre-temps je me suis beaucoup investi sur Instagram via mon compte Black Brocante, compte avec lequel je partage mes trouvailles de vide-greniers, mes achats et quelques facettes de ma vie d’homme amateur de jeux de rôle, de jeux vidéo, de vieilleries et de ma vie simple. Instagram est un réseau que j’aime énormément, peut-être parce que j’ai une culture de l’image assez solide, forgée dans les vapeurs de la chimie argentique qui embaumaient ma chambre transformée en labo photo, mais pas seulement, c’est le réseau où je perçois au mieux la proximité d’une communauté. C’est aussi très simplement le réseau sur lequel j’ai le plus de plaisir, plaisir ludique, à être. Mais pendant un moment j’ai cru qu’Instagram avec les likes et les vues que je pouvais glaner aller devenir mon nouveau blog, je veux dire ma nouvelle tribune celle où je caresse mes ambitions désuètes d’une culture vidéoludique façonnée par la raison et non par l’injonction de consommation. Mais Instagram est un réseau d’images, avant tout d’images, bien sûr les stories, bien sûr les légendes, bien sûr les sondages et tout ce que vous voulez mais ce ne sont que des leurres. Il n’y a aucun mal à cela Instagram est une culture de l’image instantanée et c’est très bien ainsi ; imaginé combien de stories, ou de légendes mises bout à bout il me faudrait pour partager ce texte … Et puis Instagram est un réseau social comme les autres, c’est-à-dire soumis à des injonctions algorithmiques qui finissent toujours par lisser les domaines où elles prospèrent comme de la mauvaise herbe bien que dans ce cas-là ma métaphore de la mauvaise herbe est tout à fait mal choisie que les injonctions algorithmiques prospèrent de manière censée, organisée et mathématique. Si je veux résister à ce mouvement je sais que je dois abonner quelques habitudes de « bon instagrameur » pour caresser une approche plus « punk » mais aussi revenir aux fondamentaux, l’image et pas les légendes à rallonges.

La plume et l’enclume

Je vais donc essayer de revenir à un Instagram plus brut, plus direct, moins pensé, moins dans la communication, et par extension je vais essayer de revenir au temps long du blog pour partager mes avis et les mots liés à mes pensées, mes réflexions, mes souvenirs et mes critiques. Un temps court, un temps long, un seul auteur. C’est bien dans mon habitude que d’écrire de longs articles qui me conduisent à essayer d’esquisser une ligne éditoriale pour mon blog, un feed pour Instagram, alors que dans le fond je ne suis même pas sûr que ce soit ce que je désire. Ce que je veux est là, écrire, écrire sur, écrire à propos, écrire à partir de, écrire moi, m’écrire, créer et partager en espérant que quelque part sur la toile ma prose d’ici et de maintenant trouve un écho, c’est-à-dire une vibration en retour. Pas plus que je ne suis un blogueur, je ne suis un influenceur ou un Instagrameur, je suis un flâneur de la pensée, et les réseaux sont des outils magnifiques qui me permettent de dévoiler un coin de ma flânerie. Ou peut-être bien que je suis un artisan, si les réseaux sont des outils je crois que j’aime rester à ce stade d’artisan, sans rien de péjoratif dans l’utilisation du mot. Un artisan de ma pensée qui s’est lovée sur quelques pixels figés dans le temps dans le cœur insensé d’un serveur anonyme lui-même lové dans un paysage qui m’est inconnu.

Merci de m’avoir lu jusqu’ici. Si vous avez perdu le fil de ma pensée en route, rassurez-vous nous sommes ensemble dans le même cas. J’espère seulement que vous avez aussi comme moi passé un agréable moment de flânerie entre mes souvenirs d’enfants et mes ambitions critiques. Il ne me reste plus qu’à trouver un titre pour résumer tout cela.

Magazine Club Nintendo numéro 5 de 1989 avec Mega Man en couverture

Magazine Club Nintendo numéro 5 de 1989 avec Mega Man en couverture

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