J - Jeu-monde

Je connais peu de jeux-mondes, des jeux qui puissent se substituer au monde ; prendre le joueur et lui faire faire l’expérience d’un monde au-delà du monde ou plutôt d’un monde à l’intérieur du monde. Souvent ce sont les jeux à histoire, les RPG en particulier, qui tentent cette expérience. ; ces jeux qui devraient épouser l’ambition d’être des jeux-mondes échouent souvent dans leur tentative de remplacer le monde réel parce qu’ils sont trop scolaires, toujours collés à leur volonté de remplacer le monde réel par un monde imaginaire mais n’assumant jamais la portée de leur ambition, se contentant de poser les bases d’un imaginaire mais ne donnant jamais au joueur les outils pour se l’approprier.

J’imagine le principe du jeu-monde comme l’idée d’un immense vaisseau spatial qui contient à l’intérieur de lui un monde clos, autonome et total au sens qu’il n’a pas conscience d’être un monde à l’intérieur du monde qui voyage dans l’espace. Et peu de jeux offrent cette sensation. Il y a pour moi la trilogie Mass Effect qui regorge de détail donnant à son univers la saveur nécessaire pour remplacer la réalité par une alternative enviable, mais le jeu dont je veux parler aujourd’hui - et qui pour moi s’impose au joueur comme un jeu-monde - c’est NBA 2K13 et plus globalement toute la lignée des NBA2K.

Le génie de ce jeu est de substituer au monde réel le monde réel. Quelle meilleure façon pour immerger le joueur que de le plonger dans un univers qui lui est familier ? Avant d’être la simulation de basket-ball par excellence NBA2K est une simulation divertissement sportif foisonnante avec son lot de futilités, de vanités et d’inutilités. J’ai depuis longtemps la conviction que, dans le jeu vidéo, ce qui fait la différence entre un bon jeu et un jeu culte, ce je-ne-sais-quoi qui transcende le bon jeu en une œuvre majeure, c’est la capacité du jeu à offrir au joueur l’expérience de l’inutile.

Et en matière de contenu à la vacuité débordante NBA 2K13 se pose en mètre étalon ; menu à n’en plus finir, options de customisation, création de chaussures, modes de jeu secondaires sans réel défaut ni intérêt, etc. De tout dans l’habillage du jeu repose aussi sur cette vacuité bling-bling d’une proposition alternative à la fonctionnalité ; avant d’être opérationnel l’habillage de NBA2K est poseur, superficiel, divertissant et ostentatoire, une tendance exacerbée dans cette version 2013 par la présence de Jay-Z en tant que producteur exécutif.

Le cœur du jeu de NBA2K est solide, rodé et d’une richesse remarquable. Si le jeu évolue d’année en année c’est avant tout en faisant grandir ce qui n’a pas véritablement un grand intérêt de gameplay, mais qui est là pour renforcer l'immersion du joueur dans ce jeu-monde. Cette année dans le mode carrière on a la possibilité de convoquer une réunion avec son général manger - ou d’y être convoqué - pour exprimer sa satisfaction, son envie d’être transféré, demander qu’un joueur soit viré de l’équipe, etc. En soi les choses étaient globalement possibles avant par le biais d’un menu, mais ici nous avons des scènes avec des dialogues souvent remarquablement écrits et une part d’incertitude sur l’impact de la discussion. Toujours au rang de l’inutilité dans le monde carrière notre joueur se voit doté d’un compte Twitter. Il est ainsi de consulter les tweets de ces followers virtuels. Si on ne touche pas au sublime de l’inutilité alors je ne m’y connais pas.

NBA2K peut aussi revendiquer sa place de jeu-monde parce que le jeu est d’une richesse et d’une profondeur que très peu de jeux égalent. En même temps le jeu ne s’éparpille jamais et reste auto-centré sur lui-même, sur la NBA. C’est un monde clos à la limite de la consanguinité et la richesse, la profondeur, il la trouve à l’intérieur de lui. NBA 2K13 est une aventure intérieure, une introspection radicale du basket-ball américain et de sa stratégie de l’entertainment. Je joue à cette licence depuis ses débuts, je n’ai pas connu tous les millésimes de la saga, mais je suis plutôt en terrain connu quand je lance le jeu. Pourtant à chaque fois que je change d’année, je suis impressionné lors de mes premiers pas ; pas impressionné comme on est admiratif d’une belle œuvre mais impressionné comme lorsque l’on est intimidé devant une personne ou une chose qui nous parait mystérieuse.

L'exhaustivité des menus de NBA2K est en même temps un des piliers fondateurs du monde qu’il représente et en même temps leur confusion, leur lourdeur et leur opacité frisant le kafkaïen est aussi la limite de ce jeu-monde. Pourtant, chaque entrée dans chaque menu est comme une porte menant directement à une des strates de cette réalité à l’intérieur de la réalité ; le jeu regorge de ces petites choses parfois absurdes et inutiles qui forment la carcasse de ce titre. Entre musiques hip-hop, temps de chargement et obscurantisme bureaucratique se trouve bien la plus grande saga de jeu vidéo de basket-ball du monde. Ce qui permet de dire qu’un jeu est un jeu-monde c’est aussi et peut être même surtout la richesse de sa proposition de gameplay. Dans ce domaine NBA2K est indépassable. Chaque poste, presque chaque joueur, permet d’aborder le jeu par des biais différents ; la profondeur de la jouabilité est phénoménale ce qui permet aux joueurs d’avoir une marge de progression sidérante. Au premier abord le jeu est accessible et la maniabilité semble intuitive. Et puis au fil des matchs, des rencontres, des entraînements, on découvre l’immense palette des mouvements, des systèmes, des possibilités de gestion, des stratégies, on découvre de choses que l’on ne connaissait pas et on apprend encore. Je ne connais pas d’autres jeux qui soient capables de distiller sur une telle durée l’excellence de leur gameplay. Il y a beaucoup de jeux qui ont un gameplay exigent, mais une fois que l’on a pris le truc le gameplay n’apporte plus rien. Avec NBA2K c’est différent le gameplay n’est pas nécessairement exigeant en soit, mais se l’approprier totalement demande une véritable exigence au joueur, une totale abnégation et une grande connaissance du basket. C’est comme un livre qui possède plusieurs entrées, plusieurs niveaux de lecture, NBA2K possède un gameplay avec plusieurs entrées, plusieurs niveaux de jeux et c’est une sensation grisante. Combien de jeux peuvent procurer aux joueurs la satisfaction d’avoir appris au sens de s’être approprié un élément du jeu ?

Que l’on entre dans une carrière individuelle, dans la gestion d’une équipe, dans l’expérience d’une saison - et je ne parle que du jeu en solo, l’expérience de l’association en ligne et comme un monde dans le monde dans le monde ; une expérience absolue de ce jeu là - on parcourt ce monde en découvrant sans cesse des subtilités, des nuances, de nouveaux détails qui étonnent et renversent parce qu’ils dévoilent une nouvelle part du monde. C’est comme parcourir le monde d’un RPG et s’émerveiller du souci du détail d’un village, d’une ferme ou d’un dialogue avec un PNJ inutile. Le jeu a été pensé dans sa totalité comme un monde complet, capable de recréer le réel pour faire oublier au joueur qu’il n’est pas dans le réel. Je suis totalement fasciné par ce jeu. Je suis totalement conquis par ce monde. Curieusement cette mouture 2013 possède quelques aspects RPG assez déroutant ; dans le monde carrière il est possible et nécessaire de faire évoluer son joueur. On peut donc augmenter très logiquement ses aptitudes - shoot, dribble, contre, etc. - en achetant des points. Mais on peut aussi acheter des Talents ; et tant sur le principe d’acheter des Talents que dans les notices qui décrivent ces Talents je trouve qu’il y a une dimension RPG. En tout cas un regard RPG posé sur la manière de faire évoluer son joueur. À la manière des sorts dans le jeu de rôle, les talents offrent à votre joueur des caractéristiques qui ne s’appliqueront que dans des contextes particuliers, avec une zone d’effet et même un impact sur vos coéquipiers. Avec le talent Acharné du contre votre joueur obtiendra un bonus à son aptitude contre s’il vient contrer un adversaire par-derrière et s’il réussit vos coéquipiers gagneront temporairement +5 en lucidité défensive. C’est cette prose qui pour moi fait référence à la culture RPG. L’audace d’un jeu-monde, c’est aussi cela ; s’accorder une grande liberté parce que en son sein il est le seul décideur des lois de la réalité.

Certains d’entre-vous diront que ce NBA 2K13 est moins bon que le 2012, peut-être à raison, peut-être à tord, je ne juge pas le jeu sur ces qualités historique par rapport à ces prédécesseurs mais plutôt comme une nouvelle ère géologique d’un monde qui n’a de cesse d’exister sous nos yeux. On peut faire l’archéologie que l’on veut et prétendre que telle ou telle période vaut mieux qu’une autre, que telle ou telle civilisation était mieux avant ; mais la réalité est là, le présent est là et s’impose à nous dans la splendeur inébranlable de sa présence. NBA2K est la seule saga de simulation de basket du marché, c’est aussi la seule simulation sportive qui puisse prétendre être un jeu-monde et donc à ce titre la juger comme un jeu normal n’a pas de sens. Je pourrais parler des heures de l’expérience de ce jeu et d’ailleurs je suis retombé dedans récemment, il est donc possible que je revienne parler de ce monde dans le monde, que j’essaie et peut-être que j’arrive à retranscrire cette expérience qui est quasi métaphysique

NBA 2K13 versus le monde
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