C'est quand on termine Killer is Dead que l'on réalise que l’on vient de jouer à un des jeux les plus mélancoliques et désabusés de ces dernières années. Finir ce jeu m’a rendu triste.

Ce sentiment de tristesse vient de la sensation qu’à mesure du développement de Killer Is Dead, Suda51 a finie par ne plus croire en lui et qu'il s’est permis de bâcler le jeu. Je sais que mes premières impressions étaient enthousiastes, et, sachez-le, je maintiens l’euphorie que provoque le début du jeu. Par curiosité, après l’avoir terminé, j’ai recommencé Killer is Dead pour me comprendre comment l’enthousiasme avait pu devenir tristesse. Je crois que cette mélancolie résulte du fossé qui se creuse progressivement entre ce que le jeu promet et ce que le jeu offre réellement.

Le tutoriel qui fait office d’introduction est vraiment superbe visuellement. Il pose une ambiance de polar noir très prometteuse et il laisse augurer d’un scénario sombre et vénéneux.

Le premier épisode tourne autour d’une variation d’Alice au pays des merveilles vraiment intéressante. Il confirme les impressions laissées par l’introduction. Le jeu conserve l’aspect de polar noir surnaturel et explore une réalité tourmentée traversée par des tensions souterraines. Le jeu poursuit l’exploration d’un parti pris esthétique présent dès le départ et qui fait le choix de la radicalité plutôt que celui de la prouesse technique.

On est dans un jeu hyper graphique, qui repose sur un cell shading très intense, saturé de noir avec des couleurs presque en aplat. Ce style donne un ton résolument engagé à Killer is Dead, un ton mature proche du roman graphique.

Le troisième épisode - il est possible que j’en oublie un peu en route, mon découpage est juste chronologiquement même s’il n’est peut-être pas précis - marque déjà un recul, une reculade, une dérobade du jeu. C’est un épisode uniquement narratif, on s’y déplace, mais on ne s’y bat pas, où très peu. Seulement contre le boss qui va être un des personnages récurrents de l’histoire. Mais ce combat est intéressant pour une action ; la capacité du boss à faire voir la scène à travers ses yeux. Le boss est constitué de trois clones qui attaquent Mondo Zappa en même temps. Quand on est victime de son pouvoir la vue du jeu change, on se retrouve à voir la scène à travers le regard d’un des trois clones, en vue subjective façon FPS. On contrôle toujours Mondo ; fondamentalement l’attaque de ce boss affecte onc directement le joueur et non le personnage. Je trouve cela fascinant, on est obligé de venir nous attaquer nous-même pour nous libérer de ce pouvoir. C’est une scène qui finalement en dit beaucoup, peut-être pas sur le jeu directement, mais sur l’esprit de Suda51. On dit de lui que c’est un développeur avec l’esprit punk. Je vois surtout dans cette façon de mettre en scène le rapport au quatrième mur, une percée presque nihiliste et désenchantée du créateur. On attaque le personnage qui regarde la scène, donc Mondo attaque en direction de l’écran comme s’il voulait briser ce mur invisible qui sépare le jeu et le joueur. Mais aussi comme s’il voulait s’attaquer au joueur directement. En dehors de cette scène particulièrement intéressante ce troisième épisode n’a aucun intérêt ; le parti pris esthétique recule, il devient moins radical et plus épuré. Quant au duo level design et gameplay, il approche du néant.

L’épisode suivant s’ouvre, il me semble, sur Mondo Zappa toujours impeccable dans son costume entrain de courir au ralenti sur la lune. Plan large, Mondo porte un casque de scaphandre et court de cratère en cratère. Un what the fuck discret s’échappe mollement de nos lèvres qui sourient. On admire l’absurde de la scène pour l’irrévérence au réalisme qu’elle déploie. Et puis le personnage rejoint une grande bâtisse bourgeoise et l’épisode commence vraiment. Couloirs, salles, monstres se répètent. Le front radical du parti pris esthétique recule. C’est toujours en cell shading mais c’est moins encré, moins noir, moins osé. L’histoire fait intervenir un ersatz du roi David et le scénario nous fait comprendre qu’il sera l’ennemi principal du jeu : le boss. On peine à comprendre ce que cette référence au biblique roi David vient faire dans ce jeu, sur la lune, comme ennemi final. Et d’ailleurs si quelqu’un l’a compris qu’il n’hésite pas à me l’expliquer. Outre la pauvreté des enjeux de gameplay, ce que l’on retient de cet épisode, c’est une nouvelle fois le face-à-face avec le boss. Pas pour son combat cette fois, mais pour le discours qui le précède. C’est à ce moment-là que David propose à Mondo Zappa de ne pas combattre et de s’allier pour régner sur le monde. C’est une figure de style très classique de la confrontation entre le gentil et le méchant. Ce qui est moins classique, c’est la réponse du héros. Je n’ai plus les mots exacts, mais c’est l’idée qui est intéressante. Après un instant d’hésitation, comme si dire oui était possible, le héros répond deux choses :

  • Que conquérir le monde c’est surfait et ringard.
  • Que s’il venait à faire ce choix ça ferai gueuler les gamers parce qu’on est dans un jeu d’action.

 

Il utilise bien les mots gamers et jeu d’action. Et encore une fois la frontière censée délimiter l’espace du jeu et l’espace hors jeu vacille. Le héros agit comme s’il avait conscience de sa condition de héros de jeu vidéo, mais aussi  comme s’il avait conscience d’être dans un jeu d’action et de devoir se comporter selon le schéma attendu dans ce type de jeu. Mondo Zappa parle des gamers mais pas de celui qui est entrain de jouer. On peut voir ce passage comme purement anecdotique ou comme une ruade idiote de Suda51 pour amuser la galerie. Mais on peut aussi y voir un manifeste. Si on accepte que Mondo Zappa est Suda51, il y a dans cette déclaration comme une proclamation de guerre. Sous-entendu je ne ferai pas de jeu AAA c’est trop ringard. Si on prend en compte la dimension tragi-comique et mélancolique de Mondo Zappa, on peut aussi considérer que dans cette scène, il y a une forme de renoncement. L’idée que ; ok je vais faire des jeux d’action, sous-entendu des jeux de genre, mais à regret parce que je n’ai pas les moyens de faire d’autres jeux. C’est dans le silence qui précède la réponse, dans le temps d’hésitation que se trouve peut-être ce renoncement. Et c’est peut-être ce renoncement qui contamine tout le reste du jeu.

Parfois le jeu nous emporte dans un grand n'importe quoi où interviennent des licrones. Et on se demande vraiment si le jeu se moque de nous ou s'il est génial ou si c'est autre chose

Parfois le jeu nous emporte dans un grand n'importe quoi où interviennent des licrones. Et on se demande vraiment si le jeu se moque de nous ou s'il est génial ou si c'est autre chose

Jusqu’à ce moment Killer is Dead, le jeu est plein de promesse. On sent très fort la présence de l’auteur, comme je l’évoquais dans mes premières impressions. On découvre des personnages énigmatiques que je trouve attachants. Un scénario qui lance des pistes symboliques dont on suppose que les ramifications seront mystiques. Un style graphique racé et un gameplay qui, bien que minimaliste, est agréablement nerveux. À ce stade-là, on a défloré un peu moins d’un tiers du jeu et on se dit que le meilleur reste à venir. C’est en tout cas ce que je pensais. Malheureusement, c’est là que le bât blesse, le jeu ne décolle jamais. Pire, il ne cesse de s’éloigner des promesses radicales qu’il fait miroiter au départ.

Esthétiquement le jeu stagne, régresse, se perd. Plus précisément il donne la sensation de se diluer. Je parlais au départ d’un cell shading très noir avec des couleurs en aplat. À mesure que l’on progresse dans le jeu les noirs sont de moins en moins denses. On a la sensation d’être devant des images délavées, on a l’impression que l’on a augmenté au maximum la luminosité de l’écran et que le jeu baigne dans un brouillard laiteux. À cette dilution du style, s’ajoute la désillusion des niveaux qui sont sans imagination, sans audace, on traverse des lieux génériques comme un immeuble, une usine, un train, etc. On est loin de la réinterprétation d’Alice du premier épisode qui possède style fort.

De son côté le scénario s’enlise. On ne sait pas où il veut en venir. Chaque épisode est bouclé sur lui-même, et peine à s’inclure dans la métahistoire que l’on essaie de comprendre. J’ai lu dans un test - malheureusement je ne sais plus où sinon j’aurais adoré les balancer - que le scénario était prévisible. Si elle est prévisible, c’est qu’elle est compréhensible, mais ce n’est pas le cas, on peine à déterminer le style d’univers, l’époque, le métier des héros, les liens entre eux, etc. L’histoire est sans queue ni tête. Toutes les choses qui pourraient être intéressantes sont à peine évoquées, et aussi vite oubliées. Il en va de même des personnages. On explore jamais la nature des personnages, on reste en surface, on effleure, on zappe, on oublie, ils rentrent dans l’histoire, en sortent comme ils y sont arrivés. C’est d’autant plus frustrant que j’aime les personnages. Il y a une forme d’irrévérence à maltraiter ses esquisses, d’accord, mais à on ne peut pas tout le temps sauver les choses par l’irrévérence.

Le level design est rigide, rectiligne, pauvre et dirigiste. Et je ne l’invente pas, c’est encore une fois Monda Zappa lui-même qui le fait remarquer à David lors de leur rencontre finale. J’ai déjà joué à des jeux moyens techniquement. J’ai déjà aimé des jeux de série Z ; si par miracle John Carpenter lisait mon blog il pourrait vous dire que la frontière entre œuvre de genre fauchée mais géniale et une grosses bouse de série Z grotesque est très mince. Ce qui est particulier dans Killer is Dead c’est que l’on est devant un jeu moyen mais qui a conscience de l’être. Le héros en personne le rappelle, le revendique, le reconnaît. C’est ce qui rend le jeu si triste à mes yeux.

On a sous les yeux un jeu qui a une grande ambition, qui fait un pari risqué et qui a échoué. Et surtout on est en présence d’un jeu qui est conscient de son échec. C’est cette conscience qui donne toute la mélancolie à Killer is Dead, il nous met presque mal à l’aise.

A vouloir faire le choix de l'esthétique à tout prix, Killer is Dead perd souvent en lisibilité aux moments où l'action devient frénétique

A vouloir faire le choix de l'esthétique à tout prix, Killer is Dead perd souvent en lisibilité aux moments où l'action devient frénétique

Pour le reste à vous de juger. Le jeu est court. Il est découpé en épisodes qui se bouclent en une demi-heure environ. Mais sur cette demi-heure, on passe un quart, un tiers, parfois plus, du temps en mode cinématique à ne pas jouer. Entre deux épisodes le jeu propose des miettes ; des miettes de gameplay, des miettes d’idées, parfois des miettes de génie. Ce sont des séquence courte qui reprennent le level design de l’épisode que l’on a bouclé et dans lequel on joue, ou on mini-joue. C’est décousu, disparate, d’un intérêt parfois limité, mais c’est là.

Je voudrais avant de partir reparler du gameplay. Très minimaliste, on joue à trois boutons ; attaque, esquive et brise garde. Sans atteindre la virtuosité d’un Bayonetta il est très efficace. Il ne souffre que d’une chose, la confusion provoquée par une caméra comme souvent paresseuse et des partis pris esthétiques changeants. Mais c’est bien foutu, le jeu compense la maigre palette de coups avec un système de combo qui valorise l’enchaînement. Plus on enchaîne de coup - sans se faire frapper - plus on devient puissant et à partir d’un certain point on débloque les coups d’achèvement qui permettent de looter plus. C’est simple mais efficace. Et en dehors des soucis de lisibilité, la seconde chose qui vient ternir cette mécanique jouissive, c’est le faible nombre d’ennemis. On voudrait d’un mode horde, d’assauts continus, dantesques qui nous pousseraient dans nos retranchement, mais ce n’est jamais le cas. Sauf dans le défi de l’acenseur et dans les missions de Scarlett l’infirmière cochonne.

Je vous assure que j’ai voulu aimer ce jeu jusqu’au bout. D’ailleurs c’est le cas. Mais je ne l’aime pas pour ses qualités ou ses défauts de jeu, je l’aime pour ce qu’il est. Un ovni raté, un jeu dans lequel Suda51 semble se désintéresser du jeu vidéo pour compter fleurer à des références cinématographiques grotesques tartarinesques. On ne sait plus si ce jeu est une grande imposture hypster - le radicalisme graphique du cell shading étant l’équivalent de la barbe chez le bobo -, si c’est un coup de cutter nihiliste planté dans le ventre mou de l’establishment, si c’est une blague, une parodie, une récréation. On s’y perd et on en perd de son intérêt de joueur. Pourtant le jeu est là, ses promesses, son héros stylé récurent chez Suda51, son gameplay nerveux, et son infirmière sexy.

  • J’en profite pour le dire haut et fort : Scarlett, l’infirmière sexy de Killer is Dead est la plus grande salope du jeu vidéo ! C’est de très loin le personnage le plus bandant de cette génération de console. Et je dis salope dans le sens le plus érotique possible. Oui je suis tombé érotiquement amoureux de c’est putain blonde à forte poitrine, mini blouse et porte jarretelle blanc.

 

Le jeu est là avec son style inimitable, entre romans graphiques noirs et estompe estompées. C’est peut-être un jeu à regarder et non pas un jeu à jouer. C’est peut-être ça son secret. Avant de clore cette critique sur une note qui ne sera pas celle du jeu mais celle de l’article je voudrais vous parler d’une dernière chose. La derrière preuve que ce jeu est un titre crépusculaire dans la carrière et l’œuvre de Suda51. À chaque début d’épisode Mondo Zappa se lance dans l’action en prononce Killer is Dead. Plus précisément, avec son accent japonais, il l’écorche, il le massacre, il le mange, il y a même un épisode où il n’a pas le temps de finir sa phrase. C’est là la preuve que ce jeu est un grand jeu inachevé, un jeu que son créateur a laissé s’échouer dans la médiocrité. Killer is Dead c’est le Titanic qui aurait été décoré par Valérie Damidot. C’est un jeu que beaucoup oublieront rapidement, que quelques-uns décriront longtemps comme le sommet de l’imposture et qu’une minorité aimera avec cette tendresse que l’on a pour les choses fêlées.

Killer is Dead is dead

Note : Oui, seulement trois sur cinq parce que j’ai fait plus long que ce je voulais. Parce qu’il me semble que j’ai été lourd dans la rédaction. Parce que la critique manque d’idées neuves et percutantes. Tout simplement parce que je me suis un peu forcé à écrire cet article, je voulais le faire avant de passer à autre chose et avant de rendre le jeu à @aquab0n, cette fois je ne vais pas le garder 12 ans. Peut-être aussi que je suis un peu déçu par cet article parce que j’attendais plus de lui. Je ne sais pas, c’est comme ça. De toute façon en ce moment je ne sens pas trop mes articles. J’écris pas mal à côté, dans un genre qui n’est pas de la critique et j’ai peut-être perdu un peu d’acide dans mon encre. Ou tout simplement en mettant un peu plus d’exigence dans mes écrits littéraire j’ai fini par importé mon exigence dans mes récits moins littéraire. Sinon j'ai essayé d'avoir une utilisation de l'italique un peu différente qu'à l'habitude. Je conserve le - italique - pour mes interventions perso, mais cette fois l'utilise l'italique de façon presque logique, pas simplement pour mettre en avant des mots clefs mais pour remplacer le guillemet. Bref je crois que ça ne sert à rien d’épiloguer plus. Killer is Dead !

Tu croyais sérieusement que j'allais boucler cet article sans illustrer celle à qui je viens de décerner le titre de plus grosse salope des jeux vidéo ? Scarlett je t'aime !!!
Tu croyais sérieusement que j'allais boucler cet article sans illustrer celle à qui je viens de décerner le titre de plus grosse salope des jeux vidéo ? Scarlett je t'aime !!!
Tu croyais sérieusement que j'allais boucler cet article sans illustrer celle à qui je viens de décerner le titre de plus grosse salope des jeux vidéo ? Scarlett je t'aime !!!

Tu croyais sérieusement que j'allais boucler cet article sans illustrer celle à qui je viens de décerner le titre de plus grosse salope des jeux vidéo ? Scarlett je t'aime !!!

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